Sergent Édouard Carry
9ème compagnie
Parti du quartier Grand'maison le 23 aout 1939, la 9éme compagnie avec à sa tête le Sous-Lieutenant Pouplier se dirige vers Mazeroy chevillon à l’est de Metz afin d’y établir son cantonnement puis les jours suivant se dirige avec le reste du bataillon vers Guinglange et Remilly qu’il atteint le 2 septembre .Le 3 septembre, lors de la déclaration de guerre, le régiment prend en charge le secteur de Saint Avold – Carling.
Laissons maintenant la parole au sergent Carry qui vient de partir de la caserne Grossetti avec son bataillon
« Je m’appelle Edouard Carry et je suis affecté à la 9éme compagnie. A la déclaration de guerre le 3 septembre 1939 je me trouve bombardé à ma grande surprise caporal-chef d’ordinaire, à la section de commandement. Ce qui ne me réjouissais pas »
Pendant toute cette période et ce jusqu'en novembre 1939 , le sergent Carry alors caporal recevra de sa mère des courriers en réponse à ceux qu’il lui envoie. On y voit les préoccupations d’une famille à l’arrière

-Courrier du 27 octobre 1939 alors que la 9éme compagnie se trouve à Aube en cantonnement depuis le 17 octobre après avoir passé plus d’un mois au avant-postes
« Vendredi 27 octobre 39,17h15
Mon cher Edouard, avant midi j’ai posté à la poste et recommandé tes vieux gants , mis à la poste la carte écrite hier soir tard .Tantôt , j’ai relu une petite lettre d’André , ta carte du 22 et ta lettre du 23 .J’ai trouvé le tarif dans l’album de Saint Etienne la lampe électrique sans pile avec magnéto : 48 francs .Je vais envoyer 50f50 à Saint Etienne , ton adresse et la description bien recopié de cet article .Je leur dirai de te l’envoyer en recommandé. Pour le livre de Séraphine, cela m’a couté 2francs 40 , pour tes gants 2 francs .Je n’ai pas eu le temps de peser avant de ces deux objets mais bah !Le gouvernement a besoin d’argent .Il ne faut pas regarder à quelques sous quand c’est pour lui
J’ai bien penser à demander des cartes postales militaires à la poste , mais il n’y en avait plus.Ca ne fait qu’entrer et sortir comme le vin chez Garré et chez Thuillia .Quand tu viendras tu auras du bon quinquina .Ce matin , j’ai vidé ma bonbonne .Je l’ai mise en bouteille .Tantôt je me suis hasardé avec des bottes à aller au fond de la cave chercher mon grand sceau plein de charbon qui était posé depuis avant la crue sur le chantier à droite de la caisse .Je n’ai aucun gout pour ces exercices nautiques .Il y a bien encore 20 cm d’eau .
Voilà qu’il fait nuit ou presque .Je finirais ma lettre plus tard et je n’enverrai le mandat à Saint Etienne que demain matin .Je vais écrire une carte à André tout de suite et la porter à la boite du coin .Je regrette bien qu’il n’ait pas pu se rencontrer avec Georges .Je crains que ni l’un ni l’autre n’y ai mis beaucoup d’entrain , ce qui est regrettable
Samedi 15h25
Mon cher Edouard
Je me couche le soir en me disant je commence demain matin par mes écriture .Autant en emporte le vent .Le temps de refaire le feu et le plus élémentaire du ménage , midi s’annonce pour bientôt sans que le programme soit rempli car je deviens un peu paresseuse ..Je me lève plus tard , 7h passé presque la demie .Alors à 11h j’enfile mon manteau , mon chapeau , mes chaussures et je cours en commission au plus urgent .Je suis donc allée juste avant midi à la poste prendre le mandat pour Saint Etienne .Ceci fait je n’ai plus qu’à finir ma lettre , mettre le mandat dedans et c’est encore temps pour que le facteur l’emporte à la deuxième levé
Voici ma lettre pour Saint Etienne bien parachevé, maintenant à la tienne. André est toujours à Rédange , pas malheureux .Il couche dans un lit .Pour toi et tes camarades qui couchez sur la paille , je me demande comment vous faites pour faire votre toilettes. Ce doit être tout un problème .Je ne vous vois pas aucun de vous lavant sa chemise et la faisant sécher sous la pluie .Cela m’attriste pour la masse toute entière de ces pauvres troupiers .Et il se trouve un quidam pour taper à la porte dans une maison ou on a pas voulu lui céder la salle de bain .Il parait même qu’il a traité les gens d’ici de « crasseuse ».
Celui la mériterait d’aller prendre un bain de pieds dans la boue des tranchée .ce sont toujours ces prétentieux et ces orgueilleux qui font le plus de bruit .Je n’ajoute pas « et le moins d’ouvrage » car je ne suis pas juge en sa partie. Mais il aurait besoin d’écouter les causeries de radio Paris sur le sens de l’humain, ça doit être un cœur racorni. Oui il va faire froid. Ce matin, il y avait sur le jardin, quand je me suis levée, des traces de neige fondue. Mes pauvres dahlias ! Je ne suis pas seule à ne pas les avoir arrachés, ce qui complique mon cas, c’est la boue encore bien plus que l’éloignement. Sans la boue, je partirais bien décider. J’avais fait le projet d’y aller lundi matin par n’importe quel temps, mais madame est morte et lundi matin il faut que je me remue pour aller à l’église à 8h30.Elle n’est pas inhumée ici.
Mme Vaxelaire était la hier tantôt quand j’ai reçu ta carte du 22 et ta lettre du 23. Je lui ai fait ta commission .Elle est très contente que tu penses à elle .Le soir Mme Lambert est venu chercher 2kgs de miel , je lui ai fait part de ton souvenir pour les familles Del et Lambert .Sitôt que tu auras reçu le colis de miel et pommes , les gants , la lampe , écris moi .Vivement une seule phrase sur une carte que je jouisse plus tôt de ton cantonnement. Mme Roussel de Chatenois est venue mardi dernier .Elle réitère son invitation pour que j'aille plusieurs jours chez elle à Chatenois .
Courrier du 31 octobre alors que le 3eme bataillon est retourné en 1ere ligne dans le secteur de Pange à Han sur Nied

Mardi 31 octobre 1939
Mon cher petit Edouard
Je viens de recevoir ta carte du 26 octobre. Je suis contente que tu aies reçu mon colis et qu’il te fasse plaisir. Je ne causerai pas d’ennuis avec le contenu ; tu peux être tranquille puisque les colis gratuits sont pour les familles qui touchent l’allocation militaire. J’ai payé 7francs 20 pour ton colis .J’ai taché d’atteindre le plus près possible des 3kgs sans les dépasser .C’est tout un calcul , toute une combinaison, mais mon temps n’est pas précieux .Cependant je l’emploie de mon mieux. Tu sais que j’ai horreur du moindre gaspillage. Je recommence comme en 1914 à apprendre à tricoter une paire de chaussette mais j’ai mal fait les diminutions. Ce n’est qu’à la prochaine paire que ce sera tout à fait bien. Ne manque pas la prochaine fois que tu m’écriras de me donner des nouvelles de ton épaule. Tu me parle de déménagement sans me dire pour où. J’espère qu’on ne vous renvoie pas en première ligne tout de suite, après votre piqure. Ne manque pas à ta prochaine carte de me dire si c’est pour un camp ou pour le front .Je veux savoir .Ici il ne pleut plus .Aujourd’hui on voit un peu de soleil .Ce matin je suis allée au cimetière arranger pour demain .J’ai eu chaud en revenant à midi et demi parce que je me dépêche toujours trop. Malgré ma hâte j’ai manqué la revue de presse à midi vingt. J’ai eu la causerie israélite, les informations et tout à l’heure un peu de théâtre. Je ne me laisse pas dévorer par le spleen .Je suis toujours occupé et préoccupé .J’ai eu une carte de Thilia. Une de mes lettres a été ouverte par l’autorité militaire. Je t’embrasse bien fort.
L.Carry
-Courrier du 2 et 3 novembre 1939 alors que le 3ème bataillon quitte ses positions pour se rendre plus au nord est près de Flastroff -Colmen

« 2nov 1939 16h
Mon cher petit Edouard
Le facteur est passé à 15h. Je reçois deux petites lettres de toi. Une du dimanche 29 et une du lundi 30, écrite à la machine .Je suis très très contente que tu saches écrire à la machine , malgré qu’une soit plus facile de lire ton écriture ..Chaque fois que tu le pourras , fais le. Ca me cause un réel plaisir de voir que tu ne négliges aucune occasion de te rendre apte à des tas de choses. La dernière idée qui m’est passé par la tête, au sujet de ton avenir, c’est de te voir dans la quincaillerie.il me semble que ce commerce te conviendrait très bien. Ce que je sais des permissions, je l’ai entendu à la TSF, je n’y ai donc aucun mérite. Si tu viens et qu’il fasse mauvais temps tu liras bien tranquillement. Ton fauteuil vert te changera de la paille. J’ai toujours l’eau dans la cave. Mes dahlias sont toujours là-bas. Aux premiers beaux jours, j’y vole en emportant les bottes sur la charrette. ; de façon à ne pas m’embourber jusque par-dessus mes souliers
Je me suis fait donner des dahlias (craignant de ne pouvoir aller chercher les miens) par une personne à qui je donnerais une boite de miel de 600 grammes comme celle que je t’ai envoyé. Ça ne m’empêcheras pas de sauver au jardin de Rebeuville un de chaque couleur si je le peux .Il y a de la place la bas pour en remettre même beaucoup
Je pense que tu veux me faire remarquer que la carte du 24 est arrivé avant celle du 23. Le principal est que tout arrive a son but et a sa destination si ça ne te fait aucun ennui avec le vaguemestre. Je ne regrette pas d’avoir recommandé tes gants.
Le gouvernement a besoin d’argent. Je peux lui donner 1f ou 1f25. Je pense que chacun en donnerait bien d’avantage pour acheter la paix si ce bien précieux pouvait s’acheter mais il faut le conquérir de haute lutte. Il faut aller à la chasse au tigre., nom qui me parait encore trop beau pour Hitler. Je crois que le nom de hyène serait tout assez bon pour lui et je regrette fort de ne pas me rappeler le nom de certain petit animal puant dont tu m’as fait lire l’histoire dans le chasseur français .
Tu dois te tromper sur l’emplacement de ton dictionnaire Tom Pouce anglais. Ce que tu appelles ta commode, c’est ce petit meuble à la cuisine ou tu as tes outils. Je pense qu’il est là-haut, avec autres livres d’anglais. Je crois l’avoir eu en main quand je
cherchais tes gants pour les envoyer. Sitôt que je l’aurait retrouvé, je te referais un colis de 3kgs, 7f 20. Et ne te tourmente pas pour le contenu , en payant on met ce qu’on veut ..Quand tu parleras des anglais , il faut mettre un A majuscule .A part cela je vois quatre fautes d’accents : cétte vraîment, qu’â, répéte ; si c’est toi qui as corrigé les vrais fautes d’orthographe, un bon point.
Tu ferais mieux de ne pas les faire. La machine à écrire a donc l’avantage de te faire relire et corriger ton texte, c’est quelque chose. Je t’assure que ça m’enrage il y a des fautes dans tes lettres et dans celle de Thilia.
Je vous tirerais bien les oreilles à tous les deux. Les autres, Lermarne, ou Therese , Thérese surtout , je m’en balance. Et pour Thérèse je trouve ses fautes de grammaire moins grave que ses fautes de tact et de pensée. Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais sa conversion. Je prie Sainte Thérese de lui conserver la santé et de la rendre meilleur.
Pourquoi te couche tu à 20h55 ce qui fait onze heures du soir .Je me croyais seule coupable de ces incongruités, voilà plusieurs soirs que je veille ; donc j’use de l’électricité et quand je me lève à 7h30 ,il fait grand jour. Mauvaise administration. J’ai veillé hier soir, sur ma carte du front. Enfin j’ai trouvé Dalem. Je t’embrasse bien mon petit Edouard .
Ta maman
L. Carry
Vendredi 3 nov, 9h
Avant de me mettre au travail pour de bon et avant de porter ma lettre à la boite du coin pour la levée du matin, je te dis bonjour et t’embrasse de tout mon cœur .Il pleuvait hier soir quand je me suis couché , un peu plus tôt que les jours précédents .J’ai relu mal lettre , tu y verra que je m’embrouille facilement dans les chiffres. Effet de la tension de l’esprit. Le baromètre est toujours aux variables. Encore de l’eau dans la cave. Il faudra cependant que j’y aille pour avoir du charbon et voir mes pommes. J’en ai perdu plusieurs pendant que l’eau était si haute. Il y en a bien d’autres perdus sur les bateaux marchands qu’on coule. Aujourd’hui je fais cuire en conserve quelques salades que j’avais ici ne pouvant les manger crues. J’ai aussi mon quinquina à boucher et ranger.
Je te réembrasse
L. Carry
Laissons maintenant le sergent Carry continuer son récit alors que le régiment par au repos fin décembre après 4 mois sur le front accompagné d’un hiver très rigoureux
" La relève est venu .Nous sommes descendu au repos à Dieulouard pour Noel .Je part en permission et puis nous remontons en ligne .Cette fois j’ai retrouvé ma section et mon groupe .Nous sommes aux avants postes à Guerstling du 1er au 10 mai puis nous sommes relevés par la 10ème compagnie .Mon groupe se retrouve à Bouzonville sur les hauteurs nord avec un superbe angle mort en dessous .Ca commence à barder .Nous sommes relevés par les anglais et nous embarquons dans les bus parisiens .Je passe sur les détails , combats aériens , arrêts fréquents , pour se retrouver aux avants postes à Neufchâtel sur Aisne .Sale surprise de se retrouver nez à nez avec les schleux alors que l’on vient de les quitter à la frontière .
Ici nous avons le grand regret de perdre notre chef de section, le sous-lieutenant Germain. Son remplaçant, un adjudant, était inexistant. C’est à Neufchâtel que j’appris que j’étais nommé Sergent à la date du 15 mai. Cela ne me changera guère, d’autant plus que je faisais les fonctions depuis longtemps. Relevé à l’issue de notre tour aux avants postes, nous nous éloignons de quelques kilomètres et cantonnons à Pontgivart en réserve. Nous n’allons pas y restés longtemps. Le 23 mai, alors que le temps est superbe, la 9éme compagnie monte à la relève. Il fait chaud et c’est calme. Arrivés à Condé sur Suippe, la 1ére section et la 2éme section nous quittent pour s’installer sur l’Aisne. La 3éme et 4éme section poursuivent leur chemin, quittent le patelin et bientôt la route que nous suivons se trouvent en surplomb du canal latéral à l’Aisne.

A notre droite cette route est bordée d’un parapet en maçonnerie pas bien haut, en dessous le canal et à une certaine distance l’Aisne .Nous arrivons a un pont qui permet de passer au-dessus du canal , à l’équerre un remblai en plan incliné qui descend jusqu’au chemin de halage .

La 4éme section et le 9éme groupe de la 3éme section, le mien, franchissent le pont et arrive au chemin de halage .Là je trouve le chef de détachement d’une unité dont j’ai oublié le nom .Ce sergent de carrière me passe les consignes .Mon groupe a pour mission d’interdire l’accès au pont à l’ennemi .Puis il me dit « viens voir j’ai caché la un vélomoteur , le réservoir est plein .Il servait pour aller au patelin par ce que ça fait un bout de chemin. »
Et le sergent et son groupe nous quittent
Pendant ce temps, la 4éme section a aussi franchi le pont pour prendre ses positions sur l’Aisne. Nous avons donc le canal derrière nous et au-dessus la route. Pour y accéder, il faut donc remonter le raidillon pour arriver au niveau du pont et passer au-dessus du canal, tous cela bien en vue des schleux ! Le 7eme et le 8eme groupe n’ont pas passé le canal.
Leurs positions se trouve entre la route et le canal en défense du pont. Les allemands n’ont pas réagi .C’est bon , j’ai le temps de faire l’inspection des lieux devant le talus.

Le terrain descend en pente très douce jusqu’à la rive de l’Aisne .Mais la végétation est très haute et ils font se découvrir pour voir devant et pouvoir tirer , autrement dit à découvert .A notre droite et qui descend jusqu’à l’Aisne , une parcelle boisée qui nous bouche la vue .Mes gars sont placés , je peux prendre le temps de reconnaitre un peu ce terrain boisé qui pourrait être propice aux infiltrations.
Quel temps splendide, tout le monde espère que ça va se passer aussi bien le reste de la journée.
Mais au bout d’une paire d’heure, ça se déchaine tout à coup. Ça tire à hauteur de Condé sur Suippe. C’était trop beau.
Cette fois c’est sérieux ! Les tirs s’intensifient. Puis arrivent un ordre du PC : reporter les sacs au PC. Je transmets au caporal. Ils en ont de bonne. Ils s’en foutent qu’il y ai une bonne partie de la route à la vue des schleux .Si je me sépare de deux hommes , chargés comme des bourricots , ce sera une belle cible .Ils n’iront pas loin parce que ça va gagner tous le secteur en vitesse .Je fais rassembler les sacs à toute vitesse. Je me charge du transport avec la bécane tant que les schleux nous foutent la paix.
J’en ai devant, derrière et sur les côtés. Je dis au caporal que je lui confie mon Mas 36 et il me répond « qu’est-ce que tu veux que j’en fasse »
Et me voilà parti, sur la route. Je me mets à fond. A Condé, c’est sérieux. Ça tire tant que cela peut .J ‘arrive à la mairie. Je décharge les sacs en vitesse pendant que le Chef Benedict m’annonce que l’Adjudant Morat a été tué ainsi que Robert Morel. Les vaches encore un chef de section !


Je repars à fond, couché sur la bécane. La bagarre a gagné tout le secteur. A une trentaine de mètres du pont, j’aperçois un mitrailleur qui prend le pont en enfilade. Il me fait signe de me jeter à plat ventre en agitant la main de haut en bas, par saccade. Ma réaction est immédiate , je plonge et rampe jusqu’au parapet. Bravo type, s’il m’avait laissé laisser m’engager sur le pont, j’étais transformer en passoire. Les Allemands tirent des bandes interminables. Je suis coincé là, après une longue attente, ça ralenti en face. Mais les tirs se concentrent sur la gauche. C’est le moment, je tente ma chance. Je cours comme un fou sur le pont et dévale la pente pour me mettre à l’abri. Les gars n’espéraient plus me revoir. Je leurs apporte les nouvelles du PC : deux morts mais depuis…. et la liste continue de s’allonger ! ça dérouille des deux cotés
Et puis plus tard, les tirs diminuent et finalement s’arrêtent. On attend, ça ne reprend pas. Ben alors, c’est une trêve ? On se relève puis on commence à se déplacer. On va aux nouvelles. Je monte sur le pont pour avoir des nouvelles des groupes qui sont derrière le canal. Un chargeur FM vient à ma rencontre et m’apprend que le tireur a été foudroyé à son FM d’une balle en pleine tête. C’était mon meilleur copain. Devant c’est pire.
Ça se comprend, entre autres fait, un obus de mortier bien ajuster a bousillé les trois servants d’un FM. Les blessés valides reviennent vers nous. Les brancardiers arrivent.
Par la suite on nous apporte des grenades et l’ordre de patrouiller dans la partie de terrain boisé à la tombée de la nuit. Et nous attendons l’heure du départ. C’est plutôt morose. Chacun pense que si les schleux y sont planqués et nous attendent, ça va être notre fête. Je repartis les grenades. Mais par la suite, un autre ordre arrive « rassembler et rendre les grenades, la compagnie va être relevée – retour au cantonnement ou la compagnie va être relevé »
Dans la nuit du 8 au 9 juin, réveil brutal. Tout le monde en tenue et rassemblement avec tout le barda dans le quart d’heure. Pas de lampe, pas de flamme de briquet, pas de cigarette. On a compris, on ne part pas en vacances. La colonne progresse dans la nuit et petit à petit les groupes sont répartis sur les emplacements qui leurs sont assignés. Quand mon tour arrive on me guide jusqu’à un pont. J’apprendrais plus tard que c’est le pont sur la Suippe à Merlet.
Les péripéties de la journée et de celle du lendemain, ce serait trop long à raconter. Disons qu’il a fallu déménager 200 mètres en arrière pour que le génie fasse sauter le pont et ensuite revenir. Et le soir, notre aile gauche étant écrasé, anéantie, je décidais de décrocher pour retrouver les éléments de notre unité sur la droite. J’étais en serre file. Un incident de parcours si l’on peut dire, fit que je me trouvais isolé toute la nuit et que j’ai pu voir à la lueur des incendies, les colonnes ennemies descendre sur Reims, la désolation !
A la pointe du jour, je repris ma progression et en arrivant à Orainville, je m’entendis appeler « Carry, d’où tu sors ». C’étaient mes gars qui s’étaient retranchés dans une maison. C’étaient nos dernières heures de liberté. Encore des escarmouches à la 1ére section avec des victimes, hélas. Et les allemands devaient être à Reims depuis longtemps.
Un side-car arrive. Le sous-officier adjoint se rendit et tout le reste derrière. Une colonne se forma. Le sergent Bernard de la 1ère section avec une balle dans l’épaule et une dans le cou souffrait beaucoup et fut pris en charge par le 1er lazaret que la colonne rencontra. Auménancourt est à 1km500 d’Orainville. Puis ça a été le parcage dans les prés avec des tireurs à la mitrailleuse à chaque coin. Ensuite des camps de passage , et puis trois jours de train avec régime jockey pour arriver au stalag IIIA à Luckenvalde au sud de Berlin.
Je serais libéré le 30 avril 1945 par les troupes russes"