L ' association 15-1 JUIN 40 vous souhaitent de très bonnes fêtes de fin d'années

Voici  les   récit de  plusieurs  chefs  de   sections  se trouvant  sur  le  front  de  l'Aisne



Lieutenant REVERSAT – chef de la 1ère section –
11ème compagnie- 3ème bataillon

( secteur  de  Neufchatel   puis  Bois des Grands  Usages) 

 

Le 19 mai ,de REVIGNY nous repartons sur BLESMES d'où nous filons sur LOIVRE, notre point de débarquement. Là l'aviation est très active ; « Le convoi précédant a été bombardé et mitraillé, me dit le commissaire de gare. ORAINVILLE, qui se trouve à proximité, est bombardé sans interruption, ajoute-il. Il faut débarquer en un quart d'heure. »
Après les manœuvres nécessaires, les hommes tous équipés quittent rapidement les voitures et sont dirigés vers un terrain couvert au Sud de la gare. Grâce à un quai en bout, le matériel est également très vite débarqué et va se mettre à couvert. Il y a là quelques civils qui nous gênent et nous créent quelques difficultés : il faut se fâcher pour mettre tous ces étrangers à la porte de façon à pouvoir travailler en paix. Cependant le débarquement se termine sans accroc en dépit de survole ennemis.
Dans l'après-midi, du coté d'ORAINVILLE, la canonnade est vive : l'officier de détails nous apporte d'ailleurs les dernières nouvelles : une batterie de 75 située aux lisières Sud-ouest d'ORAINVILLE a été repérée par l'ennemi, il a ouvert un tir de contrebatterie .La route de BERMERICOURT est également sous le feu de l'artillerie .Au mont de GUIGNICOURT ou est engagé le troisième bataillon, le combat est sérieux et il y a de nombreux blessés.
D'après les ordres, la section de 20, seul élément de protection pour tout le T.R. et les T.C., doit rejoindre ORAINVILLE. Ceux-ci resteront en place pour la nuit et ne rejoindront les bois de BRIMONT le lendemain seulement. Cette nuit il n'y aura aucun élément de sécurité avec ce gros détachement. Je reçois l'ordre d'aller alors au C.I.D. qui se trouve au-delà du canal, pour demander quelques éléments de protection.
Au Poste de Commandement, je trouve un capitaine qui, tout paternel me répond :
« Mon pauvre petit, je ne peux rien faire pour vous : j'ai trois postes à fournir sur les ponts du canal et mes hommes ne disposent que de trois cartouches. Prenez si vous voulez le poste le plus près de chez vous, mais mes hommes sont bien jeunes et ne pourront pas vous être d'un grand secours. »


Je rends compte au Colonel de la situation, je reçois alors le drapeau dont je dois assurer la garde jusqu'à nouvel ordre. Le Lieutenant BERNARD doit le reprendre dans la soirée en descendant vers CHAUGNY. Enfin, je prends les dispositions pour la nuit et seul officier restant avec tout ce gros détachement. Il faut faire la police, les hommes sont toujours imprudents et commencent à allumer des feux qu'il faut bien vite faire éteindre. La nuit se passera sans incident.
Le 21 à onze heures, je passe le commandement de ce détachement à un Adjudant de la C.C. et je rejoins à ORAINVILLE le P.C. de mon Bataillon. Là, l'Officier de renseignements m'apprend que le Bataillon relevé cette nuit de GUIGNICOURT sur AISNE doit remonter ce soir (21 Mai) sur l'AISNE dans la région de NEUFCHATEL. La reconnaissance a lieu cet après-midi. Nous partons en camionnette de la place d'ORAINVILLE nous traversons PONT-GIVARS puis BRIENNE ou nous débarquons à la sortie. Nous continuons à pied jusqu'à la ferme de la BONNE-VOLONTE, sur la route de NEUFCHATEL à REIMS, où nos guides nous attendent. Pour nous, 11ème Cie, nous franchissons le pont du canal et longeons celui-ci jusqu'au P.C. de la compagnie du 5ème R.I. que nous devons relever. Le dispositif est le suivant : deux sections sur l'AISNE : deux autres en arrière sur le canal. Le Lieutenant DESURQUE désigne alors ses sections sur l'AISNE : I° section (Lieutenant REVERSAT) à gauche en liaison avec la 10ème Cie. 4° section (Lieutenant CARRIERE) à droite en liaison avec le 5ème R-I. Sur le canal, 3° section (Adjudant PICHODOUX). 2° section (Lieutenant LANGLOIS).
Pour ma part j'ai un front de 650 mètres à couvrir avec 4 G.C. et 1 G.M. En face de moi, sur l'autre rive, le village d'EVERGNICOURT dont il me faudra surtout surveiller les lisières ouest et la gare. A droite un bief de liaison AISNE-CANAL facilement franchissable par deux ponceaux me sépare de la 4° section. En face de ce bief un énorme bâtiment d'usine offre à l'ennemi un observatoire important lui permettant de surveiller tous nos mouvements tant sur l'AISNE que sur le canal. A l'Est de cette usine une longue coulée donnant des vues de la côte ou l'ennemi a un puissant observatoire sur toute la région Sud de l'AISNE dans le quartier de la gare ; une ferme importante avec de nombreux bâtiments relie le village proprement dit à un alignement de cinq ou six maisons toutes identiques terminant EVERGNICOURT vers l'Est ; puis c'est la campagne descendant en pente douce et régulière coupée seulement par la tranchée du chemin de fer jusqu'à la rive droite de l'AISNE. Celle-ci est bordée d'une haie assez dense par endroit sur ce terrain .J'ai une liaison par le feu avec la 10ème Compagnie.


En avant des dernières maisons d'EVERGNICOURT que j'appellerais la "Cité Ouest ", un camion allemand est abandonné : il est paraît-il renversé dans le fossé ou des tirs de F.M. et de mortiers l'ont immobilisé. L'ennemi chercherait à le dégager en profitant de la nuit. Les consignes passées, nous regagnons MERLET, cantonnement de la 11ème Compagnie. Nous repartons vers 21 heures et après avoir traverser ORAINVILLE et PONT-GIVARS, nous nous retrouvons sur la route Nationale de NEUFCHATEL à REIMS. Des fusées nous obligent à de fréquents arrêts. Mais nous arrivons enfin à la ferme de la "Bonne Volonté ", ou nous retrouvons nos guides et la relève s'achève sans le moindre incident.
Le 22 Mai, vérifiant les consignes de mes groupes, je constate qu'il me manque beaucoup de plaquettes de repérage : Elles sont restées dans les sacs à BOUZONVILLE paraît-il ; il faudra les redemander. Quant au G.M. sa mission est en fonction de ses pièces : l'une flanque mon front au raz du plan d'eau ; l'autre fait la liaison par le feu de la 4éme section, en avant sous son feu un ponceau qui réunit les deux bâtiments de l'usine. D'après mon Commandant de Compagnie, cela est normal en raison de l'étendue du front à couvrir.
Avec la 10ème Compagnie, la liaison est facile ; la liaison par le feu est établie mais quel trou immense dans le dispositif ; d'autant plus que l'AISNE fait un coude à cet endroit, heureusement la rive ennemie est assez dégarnie et la surveillance sera relativement aisée. En arrière un bois assez touffu où se trouve le P.C. de la Compagnie. A droite je rejoins la limite de ma section au bief unissant le Canal et l'AISNE. Là le groupe FAIVRE interdit une petite plage d'embarquement, dont les abords couverts permettent un accès facile. Il surveille également les pentes Sud de la côte qui se trouve au Nord de l'usine : une faible coulée permet d'avoir des vues jusque là. Ses voltigeurs à gauche surveillent la région de la gare d'EVERGNICOURT et font la liaison avec le groupe COULADON. Celui-ci a le nez sur le village dans sa partie la plus dense et la plus couverte. Une maison surplombe le tout et donne des vues magnifiques sur notre position à un observatoire ennemi. Ses voltigeurs surveillent les fourrées et couverts qui sont sur les rives mêmes de l'AISNE.
Mon P.C. me donne des vues intéressantes sur les lisières Ouest du village et sur toute la " Cité Ouest " ; c'est là que j'installerai mon poste d'observatoires. Le groupe MACAINE, surveille cette " Cité Ouest " où l'ennemi marque une certaine activité. Enfin le groupe MENRART, surveille les pentes descendant vers l'AISNE et assure la liaison par le feu et par le coureur avec la 10ème Compagnie.
La 1ere journée se passe sans incident : au début de la nuit les hommes tirent sans raison : nervosité sans doute. Il faudra les calmer un peu. La corvée de soupe revient tard dans la nuit et fait beaucoup trop de bruit et ce sera encore une chose à régler.
Le 23, je règle les différentes questions pendantes : la soupe qui arrive froide vers minuit ne sera distribuée que le matin au jour. Les hommes ont un peu d'avance de vivres ; cela ne gênera pas et évitera le bruit. L'organisation de la position se poursuit. Vers 22 Heures, échange de coups de feu et de grenades : l'ennemi est venu jusqu'à l'AISNE devant le groupe COULADON : SWONKA, son tireur F.M. est excellent lanceur de grenades. Il en jette quelques-unes dans les couverts ou il a entendu parler. Un guetteur voisin avait entendu les mêmes bruits tire une grenade V.B. Des grenades à manches explosent également sur notre rive ; encore une V.B. puis une course dans les fourrées d'EVERGNICOURT, et tout rentre dans le calme.


Le 24 Mai après-midi, un tir d'artillerie Français trop court s'abat sur le P.C. du Bataillon dans la carrière de BRIENNE. Après allongement il tombe sur la 9ème compagnie et blesse deux chefs de sections. J'ai appris par la suite que l'un d’eux le Lieutenant COLSON a été sérieusement touché et a été amputé. A 18 Heures le tir de mortier sur l'usine demandé par le Lieutenant DESURQUE est prêt ; celui-ci veut le régler lui-même et à cet effet, monte dans une grue qui se trouve à proximité du bois ; Il est atteint sous l'aisselle.
Sa mort a du être instantanée. Impression pénible et douloureuse pour tous, surtout ceux qui ont eu le temps de le connaître, estimaient et aimaient ce jeune SAINT-CYRIEN. Le Lieutenant DESURQUE est emporté par les brancardiers.
Le Lieutenant LANGLOIS prend alors le Commandement de la Compagnie ; le Capitaine CLAUDEL adjoint au Bataillon nous téléphone : il faut avoir confiance et ne pas se laisser abattre ! Bien loin de nous cette idée, DESURQUE est mort, mais sa Compagnie vit encore et continuera sa mission.
Le 25 Mai, nous apprenons la capture de deux prisonniers Allemands par le Lieutenant THIRIET, en face de MENNEVILLE. Le 26 Mai, le Lieutenant THIRIET, vient prendre le Commandement de la Compagnie, c'est un SAINT-MAIXENTAIS de la promotion Alexandre-Premier. Très bonne prise de contact ; il inspire confiance !
Le 29, je dois modifier mon dispositif sur l'ordre de mon nouveau Commandant de Compagnie. Le groupe MENRART, passera complètement à droite de façon à interdire toute infiltration dans le bief et à protéger le plus efficacement le G.M.
MACAINE appuiera le plus efficacement à gauche et assurera la liaison avec la 10. Des consignes très strictes sont données à chaque guetteur. Il faut avoir les renseignements les plus précis possibles. Je vais prévenir la 10 du trou qui s'est agrandi entre nous. De nuit un poste essayera de le combler. Le 30 Mai, le lieutenant THIRIET, déplace mon P.O. Il veut tenter un coup de main sur l'autre rive. Journée sans incident.
Le 31 Mai vers 15 heures un tir d'artillerie Français s'abat sur nous. Le Capitaine CLAUDEL qui arrive à ce moment là téléphone au Bataillon et fait allonger ce tir. Ce soir la corvée de soupe a des difficultés, une mitrailleuse, genre mitrailleuse de 20, tire à balles traceuses et explosives sur le pont de NEUFCHÂTEL. Le ravitaillement s'est légèrement replié, et la seule efficacité de ce tir fait un retard dans la corvée de soupe. Dans la nuit, assez grosse activité ennemie ; je suis appelé au PC ou l'on me prévient d'une menace d'attaque en direction du fort de BRIMONT.


1er juin : on commence enfin à parler de relève : ce serait pour mardi ; les hommes en sont tout heureux, car ils sont très fatigués. Avec le Lieutenant THIRIET, nous préparons le coup de main pour demain soir : Etude des plans de feux de protection ; modifications du dispositif. LANGLOIS qui doit passer l'AISNE vient reconnaître et me demander tous les renseignements. Le soir, il revient pour voir le terrain à l'heure à laquelle il passera.
Le 2 juin, COULANDON m’appelle de bonne heure dans le jardin de la " Grande Maison " ou deux observateurs ont été tués ou tout au moins blessés il y a quelques jours ; il me signale que trois hommes patrouillent dans le jardin et le pré. Deux hommes en effet montent le petit chemin ; je tire et l'un d’eux s'affaisse et roule. L'autre roule dans les grandes herbes ou un troisième que je n'avais pas encore vu le rejoint. Quelques hommes tireront.
Il faut un volontaire pour passer le câble en vue du coup de main . Un homme de chez moi se propose : la barque est amenée, tout est prêt. Après le repas le groupe du Lieutenant LANGLOIS est amené à pied d'œuvre. A 8 heures l’homme passe, fixe le câble et revient sans incident. Je vais alors au groupe de gauche qui a la mission la plus délicate. La section CARRIERE ouvre le feu sur l’usine, tandis que l’on met la barque à l’eau et que tout le monde embarque. Mais j’entends du bruit devant moi, la barque a dérivé et ne peut pas aborder. En face, bruits divers, un commandement très bref, très sec ; notre petit groupe va-t-il être surpris : 2 éclatements de grenades, et le départ d’un coup de 81mm. CHRETIEN vient me prévenir : tout est manqué ! Je termine le réglage du tir du 81 et sur ordre, vais rejoindre le Lieutenant THIRIET à son P.C. Il est furieux, le câble a fort bien passé mais on en a trop filé, il s’est accroché par le fond et la barque n’a pu s’en servir.
Dans la journée du 3,la relève approche, mais THIRIET fait améliorer la position entre ma section et celle de CARRIERE, la 4°. THIRIET fait noyer des réseaux dans le bief, puis on en pose également sur les deux rives. Des mines antichars sont placées aux deux extrémités de la passerelle. Nous nous dirigeons alors vers la vanne qui peut servir à l’ennemi pour tomber sur le P.C. Là aussi pose de réseaux et de mines. Un boyau partant vers le groupe de LEMARCHAND est amorcé. On envisage la construction d’une passerelle légère adossée à la vanne. La liaison entre la 1° et la 4° Section sera ainsi plus facile.
Le 4 juin à 4 heures du matin, je suis réveillé par un guetteur de chez COULADON : une patrouille ennemie a tenté de traverser l’AISNE ; il a tiré, plusieurs hommes sont partis, mais il croit que trois hommes ont pu traverser. Je fais une rapide reconnaissance sur les rives de l’AISNE et ne trouve aucunes traces de passage. J’interroge SWONKA : il a constaté la même chose, mais ne croit pas que des hommes aient franchi. Chez FAIVRE et chez HANRART ça a commencé par des jets de pierres, puis les chiens ont été mis à l’eau. Le tir de nos hommes a arrêté la tentative de franchissement. Pour plus de sûreté après avoir rendu compte au Commandant de Compagnie, je fais avec DAVOIGNEAU une reconnaissance dans le bois, et ne trouve absolument rien.
A midi, un coup de feu. Encore un homme de chez PICHODOUX qui s’est montré remarque le Lieutenant THIRIET. Il ne pensait pas si bien dire. Deux hommes venaient de terminer leur repas et insouciants se montraient à la lisière du bois. La même balle les a blessés tous les deux.


A 3 heures le chef de section qui doit me relever vient me voir ; c’est un jeune Aspirant du C.I.A. de FONTENAY, presque un de mes élèves, avec lui je parcours mes 650 mètres de front, et lui passe les consignes, lui donne tous les renseignements des derniers jours. Ensuite, je fais préparer les hommes, car il faut que la relève aille vite. Je prends mes dispositions pour la suppression du 4° F.M. Lui n’en dispose en effet que de trois. Je me demande d’ailleurs comment il s’en tirera.


Le 5 juin, la relève n’arrive que vers deux heures. Après avoir traversé le bois, sans difficulté grâce à la main courante, l’Aspirant égrène ses groupes le long de notre boyau, et je lui communique alors les dernières instructions. La relève est longue à se faire. Le groupe qui relève COULADON s’est égaré. Il a fallu repartir le chercher. Les autres groupes restent gagnent le point de rassemblement au-delà du bois près du canal. Le jour se lève et COULADON n’est toujours pas là. Vite j’envoie LETURQUE rendre compte. Il revient avec COULADON. Nous le mettons en route aussitôt, et franchissons le canal. Le Lieutenant THIRIET qui m’a attendu, me rejoint près du petit pont. Je lui explique ce retard et rejoint ma section près de la ferme de la « Bonne Volonté ». Il faut aller vite et gagner le bois des GRANDS USAGES, profitant du brouillard qui n’est pas encore levé.....
Nous arrivons cependant à temps à la maison Forestière, non sans avoir été survolés par le coucou qui nous a forcés à plusieurs arrêts.
Arrivé dans le bois je reconnais mon P.A., tandis que les hommes se restaurent et boivent du jus très chaud, ce qui ne leur est pas arrivé depuis un certain temps. Le P.A. que je dois occuper est assez bien organisé. Il n’y aura pas trop de travaux à faire. Seulement peut-être des défenses accessoires. Je fais ensuite la reconnaissance avec les chefs de groupes, et tandis qu’ils s’installent, je pars avec le Lieutenant THIRIET pour étudier toute la lisière Nord du bois, qui n’est tenu actuellement que par deux sections ; celle de LANGLOIS et la mienne. Quelques pièces d’artillerie de D.C.B. sont installées pourtant à la corne Est. Vers 8 heures nous arrivons à la corne Nord Est. Là comme ailleurs les blés arrivent à la lisière même. Un chemin étroit nous en sépare seulement. C’est assez ennuyeux. A 500 mètres environ, vers l’Est, se trouve la ferme de l’UTILITE. Nous allons y faire un tour ; elle est abandonnée et complètement pillée. La cour est assez importante. Il faudra certainement l’organiser si l’on nous donne du monde. Le reste de la journée se passe sans incident. Les hommes se reposent un peu. Avec le Lieutenant THIRIET nous étudions l’organisation du bois. Il va falloir complètement changer notre dispositif. La section CARRIERE partira à la ferme de l’UTILITE ou elle laissera un groupe et les deux autres restants à la corne Nord Est. A sa gauche s’installera la section LANGLOIS. Enfin je m’installerai à la corne Nord Ouest avec le P.O. du Régiment, une pièce de 47, un G.M. et 2 canons de 75 de D.C.B. Le mouvement se fera demain matin dès la première heure.
Entre LANGLOIS et moi, un trou de 800 mètres ; il me faut faire des abatis et construire des barricades dans les deux layons Nord Sud qu’il faut franchir pour aller chez LANGLOIS.
Le dispositif est le suivant : face à la lisière Nord à proximité immédiate de celle-ci le groupe FAIVRE, et le G.M. du Caporal Chef ROBERT. A la corne Nord, le Poste de Commandement de combat du régiment, puis une pièce de 47, en surveillance sur la route de PIGNICOURT. Dans le rentrant même du bois, le groupe COULADON et mon P.C. A l’extrême corne Ouest un 75 de D.C.B. en surveillance sur la route de NEUCHATEL, puis le groupe HANRART avec une deuxième pièce de 75. En arrière à proximité du P.C. de la Compagnie, le groupe MACAINE face au Sud en surveillance sur le layon de la maison Forestière. Mon P.A. est donc complètement fermé, mais il est bien important et comme sur l’AISNE, très difficile à commander. Avec cette nouvelle organisation il faut refaire les travaux : dégager les champs de tir, creuser des trous individuels, organiser des emplacements de repos, et c’est surtout COULADON qui a du travail. Il s’y met d’ailleurs avec courage et le soir son épaulement de F.M. est terminé. Quelques trous de voltigeurs sont également bien avancés. Les commandes de barbelés et de piquets sont prêtes, et transmise au Bataillon.
Le Lieutenant THIRIET organise son P.C., fait creuser le parapet de l’ancienne tranchée de 1914. Il le recouvrira de rondins et de feuillage. Le camouflage est bon ! J’apprends seulement par le Lieutenant LARRIERE que le Lieutenant DUDON mon instructeur à St MAIXENT doit prendre le commandement de la section des pionniers. Le soir avec THIRIET, nous faisons une ronde dans mon P.A. Tout est calme, un seul guetteur au F.M., il y aura là moins de service que sur l’AISNE.
Le 8 au matin, continuation des travaux d’écriture et des calques. Après le repas de midi, un homme vient m’avertir qu’il y avait le feu dans le bois. J’alerte le groupe MACAINE et me porte immédiatement à l’endroit du feu. En effet ça brûle bien et les sapins font déjà une torche. Tout le monde attrape des branches assez longues et commence à frapper à l’endroit où ça brûle le plus, mais le feu va plus vite que nous. La section de pionniers arrive avec des outils et commence à creuser un sillon tout autour du foyer d’incendie.
Des arbres sont abattus et au bout de 2 heures d’un travail assez dur nous arrivons à être maître du feu. Je laisse une garde et rentre au P.C. La cause de cet incendie nous est restée inconnue. Le soir le ravitaillement arrive très tard, LHEMANN, Chef comptable a eu du mal à passer avec sa camionnette ; entre PONT-GIVARS et le bois, le terrain est complètement découvert. Très tard dans la soirée, un guetteur m’appelle et nous montre, à THIRIET et à moi des lueurs sur l’AISNE ; lueurs accompagnées d’un bruit sourd.

Le 9 juin à 3 heures 40, le Lieutenant NIAUDET le Chef de section des 47, se précipite au P.C. de la Compagnie et nous rend compte de ce qu’un tir d’artillerie allemand est déclenché sur la lisière Nord du bois. Pour l’instant cela semble assez loin. Peut-être dans la direction du P.A. de CARRIERE. Dans mon P.A., tout est calme : les coups tombent en effet plus à droite. De retour à mon P.C. le tir se précise et commence à arroser ma position. Je m’installe alors dans mon trou à proximité immédiate du groupe COULADON. CHRETIEN, mon Sous-Officier adjoint et DAVOIGNEAU mon agent de transmissions, s’installent avec moi. La densité du tir est telle que nous devons rester tapis dans nos trous. Qu’aurions-nous d’ailleurs à faire en ce moment. L’ennemi n’est pas encore là : on doit se battre sérieusement sur l’AISNE, mais ce tir n’est qu’un tir de neutralisation. Ce bombardement dure jusqu’à 8 heures sans la moindre interruption. Vers 8 heures son intensité diminue : j’en profite pour faire un tour dans mon P.A. A gauche, rien ! HANRART est bien un peu énervé mais ça va ! De plat ventre en plat ventre, je gagne les autres groupes. Chez MACAINE, un blessé léger qui a un éclat dans la cuisse. A la pièce de 47, rien à signaler. Au P.C. c’est un peu moins bien, le bois est littéralement haché ; il n’y a pas de victimes mais le matériel a beaucoup souffert. Là j’apprends que chez FAIVRE il y a eu du dégât. Franchissant la tranchée de 1914 pour aller chez lui, je trouve du linge ensanglanté et j’arrive à l’emplacement du G.M. que je ne reconnais pas. De nombreux arbres me barrent le chemin. Toutes les feuilles sont blanches de poussière, puis un grand trou sanglant. La pièce du Caporal Chef ROBERT est complètement déchiquetée. L’obus est tombé juste dessus : tuant le chef de pièce et blessant plus ou moins grièvement les 5 servants. On vient de les emmener au P.C. pour les évacuer. Les hommes de chez FAIVRE sont un peu émus et pâles. Je les rassure comme je peux et rentre au P.C. Les blessés sont descendus au Bataillon, sauf le Caporal Chef ROBERT reste là. Il devait y rester toujours ; j’espère que l’aumônier l’a mis lui aussi au cimetière du 15-1. A mon P.C. DAVOIGNEAU renforce le parapet avec des sacs de terre.
Vers 10 heures j’apprends que l’aumônier est arrivé au P.C. Il avait prévu hier de dire sa messe. On prétend qu’il attire les bombardements. C’est à croire car le tir reprend plus dur, plus brutal, plus dense que ce matin. On tombe tout autour de nous arrachant les arbres, projetant les pierres. Le tireur de COULADON vient d’être blessé à la fesse. On lui donne les premiers soins en attendant que ce bombardement cesse, et on vient m’annoncer un coup malheureux chez HANRART : deux hommes fortement commotionnés m’avertissent en allant au P.C. Le Caporal VAUDRON est sérieusement blessé, peut-être tué. J’envoie DAVOIGNEAU au P.C. pour rendre compte et prévenir l’aumônier et me précipite chez HANRART. Le bombardement cesse brusquement, et ce silence est encore plus impressionnant. A mon troisième groupe, tout est sans dessus-dessous, et VAUDRON est là sur le parapet de la tranchée. Il a été tué sur le coup. Le projectile a éclaté derrière lui contre un arbre, et lui complètement emporté le dos. L’Abbé LAGARDE et les deux brancardiers arrivent presque tout de suite. Il ne peut que constater la mort de VAUDRON. Il lui administre les derniers sacrements ; cérémonie émouvante au milieu de cette trouée causée par des projectiles, dans la désolation du terrain battu par les 105 Allemands. L’aumônier est à genoux à côté du mort ; je m’agenouille un peu plus loin tandis que les deux brancardiers debout attendent la fin de cette cérémonie. Puis ils emportent VAUDRON qui devait rester avec le Caporal Chef ROBERT. Je reste alors un moment avec HANRART ; lui et les deux hommes qui lui restent, ont besoin d’être remontés. Le coup de VAUDRON les a beaucoup frappés, il ne faut pas se laisser démonter, la ligne de l’AISNE serait crevée et l’ennemi peut se présenter d’un moment à l’autre.
Au P.C. je rends compte au Lieutenant THIRIET de la situation générale de ma section. Au groupe HANRART il n’y a plus que trois hommes ; chez COULADON un blessé. Les groupes FAIVRE et MACAINE sont encore intactes. Quant au G.M. il n’y a plus qu’une pièce et 5 servants. En même temps j’apprends quelques détails, les Allemands ont déclenché leur fameuse attaque attendue depuis quelques jours. Ils auraient franchi l’AISNE en plusieurs endroits : à NEUCHATEL, à EVERGNICOURT, du côté de PIGNICOURT ; le P.C. du 2ème Bataillon est encerclé. Une contre-attaque composée d’une section de la 10ème va partir du bois entre LANGLOIS et moi et va tâcher de dégager le P.C.
Cette section défilait devant nous lorsqu’un nouveau tir se déclenche. Je n’ai que le temps avec CHRETIEN de me réfugier dans un ancien emplacement de F.M. où un coup rapproché nous recouvre de poussière, de pierres et de terre ; ce tir très court et très dense fût cette fois sans aucun effet. Vers 14 heures la section de contre-attaque se replie sous de violents tirs de mitrailleuses. Les éléments du 1er et du 2ème Bataillon refluent vers nous. Nous les recueillons dans le bois et THIRIET me donne quelques éléments pour composer mes pertes de ce matin. De plus entre LANGLOIS et moi on installera un petit poste. Je fais la reconnaissance avec le Sous-Officier et lui donne les ordres. Tandis qu’il repart chercher les hommes, je passe chez FAIVRE qui me rendra compte de l’exécution des ordres. En rentrant à hauteur de chez MACAINE, nouveau tir d’artillerie. Nous continuons par bonds ; à une cinquantaine de mètres du P.C. Les motos brûlent et ont communiqué le feu à des caisses de grenades et de munitions. Je préviens THIRIET en passant, mais qu’il y a du monde dans son P.C. THIRIET lui-même est un peu abattu et envoie un Caporal Chef rendre compte de ce qui se passe, mais une caisse de grenades a sauté, THIRIET se décide à sortir lui-même.
FAIVRE devait me rendre compte de l’établissement de la liaison avec la section LANGLOIS : son agent de transmissions ne l’a pas trouvé ; il en avertit le Commandant de Compagnie qui me remplace aussitôt par l’aspirant TESSIER. En ce moment tout est calme et j’en profite pour faire un tour dans mon P.A. et visiter mes groupes. Je vais voir également les pièces de 75, la pièce de 47, et je donne quelques explications à mon F.M., puis je vais à l’observatoire. Il n’existe plus rien, les appareils sont hors d’état. Tout le coin est complètement bouleversé ; seul reste là le Caporal Observateur qui ne me donne d’ailleurs aucun renseignement intéressant. Chez FAIVRE, je trouve l’aspirant TESSIER qui devait me remplacer, car j’étais porté disparu. Je m’assure que la liaison avec la section LANGLOIS est bien établie et passe au P.C. de Compagnie où je fais remarquer au Lieutenant THIRIET que je suis toujours là. J’apprends là que LANGLOIS était sérieusement blessé à la jambe et à la main. Sans se déranger le Lieutenant THIRIET envoie le Sergent Chef MARIDET pour le remplacer. Les brancardiers n’étant pas là LANGLOIS restera assez longtemps sur son P.A. sans aucun soin. Le Chef MARIDET sera tué peu après son arrivée et sera remplacé à son tour par un de mes élèves du Camp d’AUVOURS, l’Aspirant BARBIER-BOUVET. De retour au P.C. j’essuie encore un bombardement. Le tir est précis et violent. Tout mon P.A. est sérieusement atteint. Un coup plus violent que les autres me précipite dans mon trou avec DAVOIGNEAU où nous sommes pratiquement tous les deux enterrés. DAVOIGNEAU réagi le premier et me secoue. Un deuxième coup et cela recommence. C’est COULADON cette fois qui nous tire d’affaire ; lui au moins se dérange. Nous n’avons absolument rien. Nous mangerons de la terre. Quant à moi, je ressens une violente douleur dans le haut du dos, due sans doute à une chute de pierre ou d’arbres, sans gravité. L’alerte a été chaude ; un homme de chez COULADON a été blessé, ce qui réduit son groupe à 4. C’est à ce moment là que je reçois une copie de l’ordre du jour, du Général WEYGAND, fixant la nouvelle ligne sur laquelle il faut résister sans esprit de recul. Le bois des « DIAMANT » et le bois des « GRANDS USAGES » y figurent. Ce dernier est bien en flèche et maintenant devant nous sur l’AISNE il n’y a plus rien.
Le tir s’est levé : du côté de la 2ème section nos F.M. entrent en action ; il semble même y avoir un engagement sérieux sur la lisière Est. J’apprends en effet peu après que la section CARRIERE vient d’être prise par l’ennemi. Ayant retrouvé CARRIERE en captivité, je devais apprendre que les deux groupes qui étaient avec lui à la corne Nord-Est du bois avaient été pris en revers par des hommes qui s’étaient glissés dans le bois, mais l’ennemi n’y reste pas ; une Compagnie du B.I. du 80° R.I. devait s’installer à la lisière Est du bois dans le courant de la nuit du 9 au 10.

COULADON m’appelle : l’ennemi progresse en rangs serrés dans les champs de blé qui bordent la lisière Nord. Seul COULADON peut les voir car ils sont masqués à FAIVRE par un léger mouvement de terrain. J’envoie prévenir FAIVRE et j’attends que l’ennemi soit à bonne porté pour faire ouvrir le feu. Aussitôt le groupe ennemi (une trentaine environ) se couche et disparaît dans les blés. A la jumelle j’observe qu’ils cherchent à se glisser jusqu’au bois (les blés viennent en effet jusque là). Un homme ou deux repartent vers l’arrière, pour renseigner sans doute. Par un feu fourni, nous parvenons à interdire l’accès du bois. Les feux de la 2ème Section contribuent d’ailleurs à cet arrêt et nous donnent un sérieux coup de main. La journée se poursuit sans autre incident ; en dehors de quelques tirs d’infanterie, tout est calme. Le groupe HANRART et la pièce de 75 de la corne Nord-Ouest me signalent des mouvements de troupe sur la crête des « Chaumes », vers PIGNICOURT : les deux meules viennent d’être incendiées et éclairent tout le paysage. Sur la crête au Nord, nouveaux mouvements de troupe assez importants : je demande le tir d’arrêt prévu… sans aucun résultat. Comment va se passer la nuit ? Je n’ai aucune défense accessoire, les blés et la luzerne arrivent jusqu’au bois : cela donne à l’ennemi un magnifique cheminement ; il faut être sérieusement en éveil. Le Lieutenant THIRIET abandonne son P.C. pour se reporter en arrière du côté de la Maison Forestière, dans le P.C. de combat du Colonel, qui est assez avancé. LEHMAN arrive avec le ravitaillement, mais ne le distribuera que demain matin.
L’ennemi progresse sur la route de NEUCHATEL. Nous entendons parler, chanter même ; il y a des hommes au carrefour de la route de PIGNICOURT, nous ne pouvons les distinguer nettement malgré les lueurs des meules qui brûleront presque toute la nuit. La liaison se fera de la gauche à la droite, c’est un ordre ; je vais voir PICHODOU à ce sujet : mon effectif a sérieusement diminué il faut qu’il me fournisse un poste de guetteurs mobiles pour combler le trou qui sépare nos deux sections. En remontant je préviens HANRART, puis je fais un tour dans tout mon P.A. La liaison avec la 2ème Section est toujours assurée et dans l’ensemble tout est calme, de retour à mon P.C. je reçois une note m’annonçant l’arrivée d’une Compagnie du 80° R.I. et le retrait des hommes du 2° Bataillon. Les hommes du 2° Bataillon ont bien été retirés, mais je crois bien que la Compagnie du 80° R.I. n’est jamais arrivée.
Le 10 vers 3 heures et demie, NIAUDET vient me donner quelques renseignements : une partie de la Compagnie du 80° R.I. occuperait la lisière Est mais très faiblement. Ensemble nous parcourons notre secteur et allons jusqu’à la 2ème Section ; de retour chez THIRIET il rendra compte de ce qu’il a vu dans les sections de 1er échelon. L’ennemi qui occupe le petit mouvement de terrain au Nord du bois, a l’air de vouloir reprendre son avance. De nouveau mes F.M. ouvrent le feu, tandis que je fais une nouvelle demande de tir d’arrêt. Sur ma gauche la progression reprend de nouveau ; les tirs d’armes automatiques ennemies commencent à se faire entendre. Je déplace alors le groupe MACAINE et le poste à côté du groupe HANRART, sur la lisière Ouest qui me paraît la plus menacée. Et voici le bombardement qui recommence augmenté cette fois de quelques bombes d’avions ; l’aviation bombarde également en arrière sans doute sur PONT-GIVARS. C’est à ce moment qu’un Aspirant d’artillerie monte à mon P.C. au sujet des tirs demandés : j’ai appris par la suite qu’il avait tout essayé pour entrer en communication avec son unité, T.S.F., fusées ; mais son unité se repliait, suivant le mouvement de la division. Le tir dure un bon moment puis s’allonge ; l’ennemi semble vouloir prendre pied dans le bois par la corne Nord-Ouest. Le F.M. de COULADON et celui de la pièce de 47 entrent en action, mais quelques obus nous obligent encore à baisser la tête. CHRETIEN m’apprend alors que le groupe FAIVRE s’est replié, son F.M. ayant été détruit par le bombardement. HANRART et MACAINE ne tirent plus, j’envoie DAVOIGNEAU voir ce qui se passe. Il m’apprend qu’ils se sont repliés. J’apprendrai plus tard qu’ils ont suivi le mouvement de la 3ème Section. D’après NIAUDET, que j’ai retrouvé en captivité, l’ordre de repli m’aurait été envoyé à ce moment là. Je n’ai jamais rien reçu. Nous ne restons donc que 7 : 4 hommes chez COULADON, mon Sous-Officier adjoint, mon agent de transmissions et moi. L’ennemi a pénétré dans le bois et se trouve à l’ancien P.C. de la Compagnie. J’alerte la pièce de 47 qui démonte sa culasse, et je me replie vers le P.C. de nuit du Lieutenant THIRIET. Je pensais là trouver du renfort et repartir pour une contre-attaque immédiate. Les armes automatiques ennemies nous arrosent sérieusement, mais nous arrivons cependant tous les sept jusqu’au P.C. THIRIET n’est plus là. Deux ou trois restés en arrière ne peuvent me renseigner. Je retrouve HANRART, rassemble tout ce monde et continue vers la maison forestière. Je rencontre alors un commandant du 80°, puis l’aspirant d’artillerie. Ils m’apprennent que THIRIET est parti organiser la lisière Sud. Je continue mon repli. Avec tout mon monde j’arrive à la maison forestière. Des Allemands sont là qui me crient : « Halte, halte ». SWONKA qui était à côté de moi ouvre le feu avec son F.M. et nous passons tous. L’ennemi réagit très violemment. Ses armes automatiques crachent avec fureur. Personne n’est touché et nous filons sous bois par le layon extérieur. Une mitrailleuse de 20 est là en position de route. Je les croyais au bois des DIAMANTS. On me signale alors une progression massive dans les champs entre la route de NEUCHATEL et le bois. Le poste de la barricade de PONT-GIVARS vient d’ouvrir le feu. Je rentre sous bois, et retrouve la 3° Section qui vient de perdre son chef. L’adjudant PICHODOU a été tué au moment du décrochage. Nous faisons tous face à l’Ouest et au Nord et ouvrons le feu avec tous nos F.M. puis, par échelon, nous décrochons. L’ennemi a disparu dans les blés et les luzernes et me répond à coups de minen de 50. Un homme est tué, et le Caporal-Chef COULADON est sérieusement blessé aux jambes. SWONKA le soutient et tous les deux continuent vers PONT-GIVARS. A un layon transversal, je retrouve le lieutenant THIRIET. Il me confie tous les hommes et file au Bataillon. L’Aspirant TESSIER résistera avec moi. Mais l’ennemi nous bouscule encore. De PONT-GIVARS ; le feu devient plus intense. Nous décrochons encore jusqu’à la lisière Sud. Je constate alors que l’ennemi a débordé le bois de part et d’autre et cherche à nous encercler. Il ne reste plus qu’un étroit passage. Je donne l’ordre à tous de regagner PONT-GIVARS. Nous nous faufilons dans les blés, sous le feu des armes automatiques qui de chaque côté nous tirent dessus. Il n’est plus question de se camoufler, il faut aller vite. Nous profitons de l’appui de feu de la barricade de PONT-GIVARS où nous arrivons à temps. Des hommes continuent vers le Sud. TESSIER essaie, mais en vain de les rallier. Nous nous dirigeons alors vers le centre du village, où se trouve le P.C. du Bataillon. Je retrouve là, quelques hommes de ma section, ainsi que le Lieutenant THIRIET. Le chef de Bataillon me donne alors une mission : regrouper tous les hommes de la compagnie, en envoyer une partie, dirigée par CHRETIEN, vers la barricade, sur la route de NEUFCHATEL, l’autre sous mes ordres, se portera vers l’Est, du côté de l’église et ainsi, nous défendrons les accès du P.C. La situation n’est pas belle, et l’ennemi presse de tous côtés, surtout à l’Ouest, où PONT-GIVARS est déjà débordé. De tous côtés, des fusées blanches partent. L’ennemi semble avoir déjà atteint ORAINVILLE, à l’Ouest, AUMENANCOURT à l’Est. Un tir est dirigé sur PONT-GIVARS. Un de mes hommes a le dos criblé d’éclats et est évacué sur le P.C. Le tir continue et un pan de mur s’écroule derrière nous. Des hommes replient vers l’Est ; je les récupère, ce qui porte mon armement à deux F.M. et quatre boîtes chargeur. A l’Ouest, le groupe de la barricade décroche, j’envoie TESSIER aux renseignements, au P.C. du Bataillon. Il revient, et me communique l’ordre suivant : franchir la SUIPPE par le barrage de l’usine électrique, faire sauter la vanne. Celle-ci est minée, mais il n’y a plus de cordon. J’envoie un pionnier au P.C. du Bataillon. Il revient sans rien.
J’occupe alors d’anciens emplacements, au Sud de la SUIPPE, juste derrière l’usine électrique. Des rafales d’armes automatiques partent de la maison où se trouvait le P.C. quelques instants avant. Le pont de la SUIPPE saute. Un de mes hommes est légèrement blessé par une chute de pierres. L’artillerie tire, mais c’est trop court ; c’est encore pour nous. J’envoie un homme au P.C. du Bataillon qui se trouve au carrefour de la route de REIMS et d’ORAINVILLE pour qu’il rende compte, et pour demander aussi des munitions, car je n’ai plus qu’un chargeur par F.M. L’un d’eux, sous emplacement couvert, tirera vers la rive Nord de la SUIPPE ; l’autre, plus au Sud, en direction du barrage de l’usine électrique. CHRETIEN me rejoint avec LE-SAOUT, il n’a pu rejoindre la 2ème Section, qui, à son avis, a du être prise ce matin.


En arrière l’ennemi progresse et des éléments s’infiltrent entre la SUIPPE et le P.C. du Bataillon. LETURCQ m’a rejoint. Je l’envoie de nouveau au Bataillon, avec un compte-rendu et une nouvelle demande de munitions. Sur la rive Nord, l’ennemi vient d’installer une mitrailleuse lourde. Je ne peux tirer que coup par coup pour ménager mes munitions. La mitrailleuse se déplace. Le temps passe et LETURCQ ne revient pas. Je n’ai plus qu’une boîte chargeur. CHRETIEN est découragé et voudrait abandonner. Vers 11 heures 30 l’ennemi accentue son mouvement vers l’Est, et bientôt des hommes s’installent sur la vanne que nous n’avons pu faire sauter. Le F.M. qui me reste tirera ses dernières cartouches tandis que nous nous replierons. TESSIER et moi nous dégageons la sortie et rallions les 5 hommes qui peuvent passer. LE-SAOUT vient d’être sérieusement blessé (il aura la médaille militaire). Je croyais qu’il était mort. CHRETIEN alors, se rend avec les 8 ou 10 hommes qui restent. L’ennemi les ramasse et leur fait repasser la SUIPPE. Je ne peux plus rien faire, je n’ai plus de munitions. Je me dirige alors vers la route de REIMS où un autre groupe me rejoint. Je le regroupe et me replie sur le carrefour Sud de PONT-GIVARS. On redistribue les quelques munitions qui restent. L’ennemi a déjà passé ORAINVILLE et l’on voit ses colonnes descendre vers le Sud. Le Lieutenant POUPLIER m’appelle alors, et fait replier tout le monde vers BOURGOGNE, tandis que le mortier de 60 tire ses derniers obus.
Un officier en tête, un officier en queue. Tel est l’ordre. J’envoie TESSIER qui refuse. « Vous êtes marié, partez le premier ». Nous n’avons pas le temps de discuter et je pars en tête dans les blés. Les balles nous sifflent les oreilles. En haut du champ de blés, je m’arrête et ne vois pas arriver TESSIER. Un sergent me dit qu’il est tombé dans le bas du champ. Je redescends rapidement et trouve en effet le corps de TESSIER percé d’une balle en pleine poitrine. Il n’y a plus rien à faire...........


Abréviations utilisés :
P.C.R.I : poste de commandement du régiment d’infanterie
C.I.D : corps d’instruction divisionnaire
T R : train régimentaire
T C : train de combat
C.C : compagnie de commandement
G.C : groupe de combat
G.M : groupe de mitrailleuse
TSF : téléphone sans fil
AM : automitrailleuse

PC : poste de commandement
F.M : fusil mitrailleur
C.R : compte rendu
PO : poste d’observation
PA : point d’appui
DCB : défense contre batterie