Nous avons eu le  plaisir d'assister le 17 juin 2011   à la remise  de la Légion  d'honneur  au  titre  de  Chevalier  à  Mr  Jean  BLANCHARD , caporal   à la 10éme compagnie , bléssé au matin du 10 juin  1940 aux bois des  Grands  Usages

 

 

   

 

 

 

 

 

 

Caporal Jean BLANCHARD 

- chef du 6ème groupe de combat-
-2ème section -10ème compagnie- 3ème bataillon-

 



BLESSE AU BOIS DES GRANDS USAGES.


Nous sommes arrivés dans l’Aisne aux environs du 18 mai, après le coup dur de la côte 335 vers BOUZONVILLE au cours duquel ma compagnie a perdu une section entière.
Nous avons été transportés par les autobus parisiens jusqu’aux environs de REIMS, puis de là, nous sommes partis prendre nos positions en vue de stopper l’avance allemande.

Après plusieurs changements, nous avons pris positions sur le bord de l’Aisne près de NEUCHATEL (les allemands étaient déjà de l’autre côté).

Au début nous étions éparpillés sur un vaste secteur, puis au fur et à mesure de l’arrivée de nouvelles troupes, les positions se rapprochèrent. Le secteur était relativement calme, à part quelques tirs d’artillerie.
Nous sommes restés là deux ou trois semaines puis, nous avons été relevés par le premier Bataillon, nous nous sommes repliés en deuxième échelon : AUMENANCOURT LE GRAND et LE PETIT PONT-GIVARD et alentours.
C’est là que les ennuis ont commencé. Le 9 juin au petit matin l’ennemi attaque nos positions sur l’Aisne et le canal. Après de durs combats qui ont duré toute la journée du 9 juin, ils réussissent à s’infiltrer entre nos lignes.

Cette même journée vers onze heures, nous avons reçu, ma section et une autre, je crois, l’ordre de nous diriger en renfort des positions de première ligne.
Après avoir traversé la Suippe, mon groupe était à AUMENANCOURT LE PETIT, nous nous sommes dirigés vers le bois des Grands Usages, dans lequel il y avait des sections de la 11ème Compagnie en position (section du Lieutenant THIRIET, LANGLOIS, CARRIERE).
Nous avons rencontré l’aumônier LAGARDE à la sortie d’AUMENANCOURT qui nous a accompagné jusque dans le bois des Grands Usages, après avoir traversé le bois nous sommes arrivés sur les positions du Lieutenant THIRIET.

Nous avons continué notre chemin en direction du bois en face, bois de la Grande Fortune, mais à la sortie du bois, nous avons été accueillis par un tir de barrage violent.
Nous nous sommes repliés en vitesse dans le bois, puis au bout d’un moment, le calme revenu, nous sommes repartis, mais cette fois en tirailleur et au pas de course. Comme il fallait s’y attendre, les obus se remirent à pleuvoir mais nous avons réussi à atteindre le champ de blé à environ 300 mètres, nous avons continué notre progression, mais à ce moment les mitrailleuses ennemies ouvrirent le feu. Nous voyons les épis de blé autour de nous coupés par les balles et le miaulement de celles-ci dans les oreilles.
Nous continuons d’avancer dans le champ de blé qui est très haut, nous sommes en juin, une partie de mon groupe perd le contact, nous marchons en tirailleur, chaque homme espacé de quelques mètres. Je me retrouve seul avec une partie de mon groupe, nous continuons notre avance toujours sous le feu d’armes automatiques, sans dommage pour nous. Ces armes étaient pointées en arrière de nous. Nous sommes arrivés en vue du bois en face, alors la fête reprend de plus belle ; tout le monde par terre le nez au sol, nous sommes perdus, je ne sais plus où est mon chef de section, et je ne sais même pas où nous allons. Le calme revenu, nous faisons demi-tour en rampant puis sortis du champ de blé de nouveau au pas de course vers le bois, comme il fallait s’y attendre, les artilleurs allemands nous attendent, mais le repli fut si rapide que les obus tombèrent derrière nous.
Arrivés au point d’appui du Lieutenant THIRIET, le reste de ma section est déjà là. Le Lieutenant nous dit de rester avec eux. Il n’est plus possible d’accomplir notre mission, les allemands ont submergés les premières lignes. En effet vers la fin de l’après-midi, les allemands apparaissent à la lisière du champ de blé sans aller plus loin. J’ignore combien des nôtres sont restés dans ce champ, pour mon groupe il n’y en a eu aucun.
Au cours de la nuit du 9 au 10 juin, le Lieutenant THIRIET donne l’ordre de repli, me laissant seul avec mon groupe pour assurer la protection du repli je suppose. La nuit se passe sans incident, mais au petit matin du 10 juin nous subissons un bombardement intense qui dure un bon quart d’heure, cela paraît bien long lorsque l’on le subit. Puis ce sont des obus fumigènes, une fumée âcre qui prend à la gorge, nous ne voyons plus à deux mètres, nous entendons des bruits de voix, des appels assourdis par le fracas des éclatements d’obus du bombardement que nous venons de subir. Nous ne pouvons entendre le sens de ces paroles. La fumée se dissipe alors et nous voyons des groupes ennemis passer devant nous, les plus proches à cinquante mètres au plus, sans réfléchir, je donne l’ordre d’ouvrir le feu, plusieurs tombent, les autres se tournent dans notre direction sans doute pour nous repérer ou surpris de trouver de la résistance.
Ils se jettent à terre puis se mettent à nous canarder, mais leu tir est trop haut, les balles cisaillent les branches au-dessus de nos têtes. Alors nous mettons le VB en batterie et leur envoyons quelques grenades un peu à l’aveuglette, car nous ne les voyons plus. Il y en avait certainement d’autres dans le bois ou bien ce sont ceux d’en face qui nous lancent des grenades également, cela je ne le saurai jamais, car tout à coup je ressens un choc violent à la tête et je perds connaissance.
Au bout de X temps, je reviens à moi, il n’y a plus personne, pas d’amis, pas d’ennemis, c’est le silence. J’essaie de me relever, mais je n’y parviens pas car je suis également touché aux jambes, dans le dos, au côté droit. J’enlève mes cartouchières qui me font souffrir, celle de droite pleine de cartouches est déchiquetée sans doute par un éclat, je crois qu’elle m’a sauvé la vie.

1: Soldat SOBANSKY, 2 : Soldat BONTE , 3: Soldat FENMAN , 4 Soldat LAHEURTE

5: Caporal BLANCHARD,  6 : Soldat MARKOVITCH, 7: Soldat LECONTE ,  8 : Soldat SERMINIER


Tout à coup j’entends des gémissements, je me traîne dans cette direction et à quelques mètres de là je découvre un soldat de mon groupe, Jules TRASSARD, qui a les deux jambes criblées d’éclats, son pantalon est plein de trous. J’essaie de lui faire des pansements mais c’est impossible.

Nous sommes restés là quelque temps en silence, puis je décide de chercher du secours, TRASSARD ne veut pas que je le quitte mais d’un autre côté nous ne pouvions rester ainsi sans soins. Il semble beaucoup plus gravement atteint que moi. Je pars donc en me traînant car je ne peux me tenir debout, je crois que j’ai une jambe cassée et l’autre assez amochée au genou.
Je fais donc quelques centaines de mètres en direction d’AUMENANCOURT, en m’arrêtant souvent, car les douleurs commencent à se réveiller. Tout à coup, j’aperçois à une certaine distance un groupe d’officiers allemands avec des cartes et des jumelles qui semblent surveiller le déroulement de la bataille au loin

 

 

A ce moment, ils m’aperçoivent également et me font signe de m’approcher mais je suis à bout de force. Je lève un bras en signe d’impuissance, à ce moment arrive de l’autre côté un soldat français sans arme, quand il voit les soldats allemands il lève les bras pour se rendre. Les allemands lui font signe d’approcher en le mettant en joue, un deux s’approche de moi, revolver au poing, quand il fut tout près il écarta mon fusil d’un coup de pied, me regarda et vit que je n’en pouvais plus.
J’étais couvert de sang, car mes blessures avaient beaucoup saigné. Il retourna alors près des autres, sans doute pour leur dire dans quel état j’étais, alors l’un d’eux revient vers moi accompagné du français (l’allemand était un grand type en uniforme noir, j’apprit plus tard que c’était un SS). Il s’approche de moi et me demande si nous parlons anglais, le soldat français ne comprend pas bien, mais moi bien que je ne connaissais pas l’anglais, je compris sa question et lui répondis que non.
Alors il fait signe au soldat de me charger sur son dos puis nous revenons près des autres, l’un d’eux plus âgé, qui semble être le chef dit au SS de nous accompagner vers l’arrière. Nous partons donc, les deux français, l’un portant l’autre, et l’allemand près de nous revolver au poing nous accompagnant. Il n’avait pas l’air très rassuré, il jetait des regards inquiets de tous côtés. A l’orée du bois il y avait un petit chemin qui débouchait sur une route et que nous voyions au loin. L’allemand nous fait signe de continuer dans cette direction, puis il rebrousse chemin pour rejoindre les autres.
Nous avons donc continué mais arrivés près de la grande route je n’en pouvais plus des souffrances occasionnées par les secousses de la marche et mon porteur non plus d’ailleurs car porter un homme bien que je ne sois pas très lourd, (une soixantaine de kilos à cette époque), cela est pénible. Je lui dis de me déposer dans le fossé sur le bord de la route, ce qu’il fait.
Il cale ma jambe sur une motte de terre comme je le lui demandais. Je lui dis de partir et je ne l’ai jamais revu.
La journée passe lugubre, j’ai une soif terrible. Il faut dire que je n’ai pris aucune nourriture depuis le 8 juin au matin. Quant à la boisson, il y a longtemps que je n’en ai plus. J’avais une petite bouteille de menthe dans ma poche, me sentant défaillir je la bus et cela ne fit pas grand bien. Côté soif, ce fut encore pire, il faisait très chaud en ce début de juin 1940. J’étais blessé en plein soleil et très affaibli par mes blessures qui me faisaient souffrir. Au bout de quelque temps apparaissent sur la route des groupes de soldats allemands, arrivés à ma hauteur, ils s’approchent de moi en parlant entre eux.
Je ne comprenais pas l’allemand à cette époque. L’un d’eux s’approche de moi et me tend son bidon (les bidons allemands sont plus petits que les nôtres, ils doivent contenir un litre environ). Lorsque je le pris il était plein, je le bu d’un trait, ce n’était pas de l’eau, ce devait être du bird ou quelque chose de semblable. L’allemand me regarde d’un air étonné, il reprend son bidon et puis ils repartent.


Le temps passe, la route est toujours déserte, quand tout à coup apparaît au loin un groupe de soldats français qui traînent une charrette à bras. Ils sont accompagnés d’un allemand. Ils arrivent à ma hauteur, s’arrêtent, l’allemand s’approche de moi puis fait signe aux français de me mettre dans la charrette dans laquelle se trouve déjà un allemand qui me semble sérieusement atteint (il a une jambe déchiquetée).
Nous repartons dans cette charrette brinquebalante qui nous fait souffrir, mon voisin de misère gémit à chaque chaos. Enfin nous arrivons près du canal de l’Aisne, près d’un petit pont partiellement détruit. On me dépose sur le sol, à ce moment un camarade de mon groupe, Roger VILLAUME, m’aperçoit. Il vient près de moi et se met à pleurer en m’embrassant ; mais un allemand arrive et le fait partir avec les autres français prisonniers.
Le soldat allemand blessé fut emporté immédiatement. J’étais allongé sur le sol près d’un autre français, un infirmier allemand arrive, il nous fait des pansements sommaires après avoir désinfecté nos blessures. Puis des ordres sont donnés par les allemands aux français prisonniers qui sont nombreux pour le transport des blessés. Je suis mis dans une toile de tente, un français à chaque coin et nous partons en colonne. Les valides transportent les blessés. On entend toujours des coups de feu et le miaulement des balles au-dessus de nos têtes.
L’officier qui commande la colonne  n’est  pas content , il montre  le poing dans la direction  d’où viennent les coups de feu  ( sans doute quelques tireurs isolés ) .Nous arrivons prés de l’Aisne , là il y a des soldats avec un bateau pneumatique et une grosse corde tendue au travers de la rivière. On met les blessés dans le bateau pour traverser. Quatre à chaque voyage si je me souviens bien. Arrivés de l’autre côté, nous sommes déposés sur le bord de la route, presque aussitôt arrivent des petites camionnettes couvertes de croix rouges. Les véhicules s’arrêtent. elles sont remplies de caisses de munitions qu’ils font décharger par les français prisonniers puis nous sommes embarqués à la place. Après un parcours qui dure un bon moment, nous arrivons dans un village assez important (ROZOY-SUR-SERRE) plutôt un bourg. Les blessés sont transportés dans un bâtiment.
Je pense que c’est une école religieuse, car il y a une grande croix sur le mur au-dessus d’une estrade meublée d’un bureau, comme dans une salle de classe. La salle, très grande est remplie de blessés français et allemands mélangés. A ma droite, il y a un allemand, à ma gauche un français. Il y a des infirmières qui s’affairent entre les brancards sur lesquels nous sommes allongés. On nous prodigue les soins nécessaires à notre état. Je ne passe pas dans les premiers car il y a des soldats bien plus gravement atteints que moi.
Le français à ma gauche vient d’être amputé d’une jambe. Je l’apprends de cette façon : nous sommes recouverts d’une couverture. Le médecin, un homme assez âgé, s’approche de lui au moment où il reprend connaissance et lui demande dans un très bon français s’il sait ce qu’on lui a fait. Sur un signe négatif du pauvre gars, il soulève la couverture, il a une jambe en moins ; à la place, à hauteur du genou, un énorme pansement rouge de sang. Le malheureux devient tout pâle, le médecin lui posa la main sur le front et lui dit que ça irait.
Au bout d’un moment, vers la fin du jour les infirmières se mettent à distribuer à boire à tout le monde. Je n’avais rien bu depuis le bidon que le soldat allemand m’avait donné sur le bord de la route. Je réclame à boire, une infirmière s’approche de moi, me regarde et voit que je suis atteint au côté. Elle part chercher un médecin, celui que j’ai vu auprès de mon voisin. Il regarde ma blessure et fait signe à l’infirmière qu’elle peut me donner à boire et me demande si je vais bien. Je lui fais un signe évasif ensuite, il me demande de quel gouvernement je suis. Devant mon air étonné il se reprend et dit : « Je m’excuse de quel département ». Je lui réponds : « De Seine et Oise ». Il me rétorque : « C’est là la guerre maintenant ? ». Je ne réponds rien mais pense en moi-même, vous n’irez jamais en Seine et Oise et pourtant c’était vrai. Je l’ai su bien plus tard……
J’ai retrouvé bien plus tard  plusieurs  camarades de mon groupe : Ballini, qui fut fait prisonnier, DELUZE, qui fut blessé le 9 juin et évacué, ne fut pas prisonnier. Quant à Jules TRASSARD qui était gravement blessé en ma compagnie  dans le bois  des Grands Usages  et que  j’avais quitté pour aller  chercher du secours   est décédé de ces blessures et est enterré au cimetière national de la Ferme de  Suippe.