( suite  9- 10 juin 1940 )

L’ennemi, connaissant la résistance française de ce point d’appui, réalise une attaque massive, avec un effectif conséquent. Celle-ci se fait de front mais également par un encerclement par l’ouest. Il veut à tout pris réduire au silence cette poignée d’homme qui lui résiste depuis plus de 36h.

«L'ennemi approche. L'Aspirant me demande de l'accompagner pour voir une dernière fois tous les hommes. Chacun est à son poste de combat, prêt à faire feu dés que le signal sera donné. L'Aspirant se place dans la dernière tranchée, à la lisière du bois. Il m'invite à me tenir à sa droite, le prêtre soldat PECOUT est à sa gauche. Charles BARBIER-BOUVET étant scolastique jésuite, on dirait une messe avec diacre et sous diacre qui va commencer. Je regarde PECOULT .Qu'il est beau! Il y a du soleil qui se reflète sur son visage. Il est resté constamment à son poste, il est à bout de force,mais il ne veut pas être fatigué. Avec son Lieutenant, il est pendant ces jours de combat comme le point d'appui moral du groupe. Et cependant une certaine tristesse est venue assombrir son âme sereine. Il a le grand regret de ne pas être mort au milieu des hommes de sa section à la cote 335 prés de Bouzonville et le matin, après avoir vu tomber à coté de lui un camarade père de famille, il n'a pu s'empêcher de faire de doux reproches à la Providence,et pendant cette journée, nous l'entendions répéter:" Pourquoi lui?Pourquoi toujours les autres? Pourquoi pas moi, pauvre être inutile?" Cette grande âme n'a qu'une ambition,celle du grand sacrifice, celle du don total de soi. Il était bien significatif, ce geste de Pecout, quelques instants auparavant, alors qu'il venait de communier. Il a reçu la dernière hostie de la sainte réserve. Un camarade encore se présente. Il n'y avait plus de pain eucharistique à rompre. Mais Pecout fait signe au prêtre, il offre sur sa langue une dernière parcelle de l'hostie qu'il a reçue. C'était bien lui: tout donner; tout partager, même son dieu. Et cette belle figure de prêtre et de soldat qui regarde son dieu, a les yeux fixés sur l'ennemi qui approche - 200 mètres on tire." Pas trop vite! commande l’Aspirant, ménagez les munitions" On entend les hurlements,c'est l'ennemi qui s'apprêtent à faire le dernier assaut en s'avançant sur les cotés. Le sergent PECOUT subitement se soulève et tombe à la renverse frappé à la tète par une balle. Encore une dernière rafale de mitrailleuse et notre tir s'arrête. Nous n'avons plus de munitions. A ce moment,nous recevons des grenades fumigènes. Nous ne voyons plus rien. L'ennemi nous envois des grenades explosives et il s'approche en tirant à la mitraillette. Le soldat Beaudoin reçoit un éclat de grenade au bras et à la main. Plus tard il devra être amputé d'un doigt. Un autre a la figure brulée. L'ennemi doit être à quelques mètres. L'aspirant BARBIER-BOUVET lance la dernière grenade qui nous reste .....Quelques secondes et nous apercevons des baïonnettes qui foncent sur nous. L'aspirant fait un signe mais les allemands hurlent:"zu spät"(trop tard).On dirait des bêtes fauves qui se ruent sur nous, bousculant,piétinant, tirant à la mitraillette dans tous les sens. La nuit se dissipe peu à peu et nous nous voyons entouré d'allemands qui nous harcellent.» Abbé Alphonse Lagarde

«Je passe une dernière fois l’inspection,vérifie qu’on a placé des tireurs bien accroché à chaque arme automatique. Le canon de 25mm est mis hors de combat. L’attaque se déclenche. Les plus courageux ouvrent alors le feu et l’exemple aidant, la résistance s’affermit. L’ennemi vient à nous en rang serrés et en criant. Pendant que nos fusils mitrailleurs s’acharnent sur les groupes, les tireurs individuels recherchent les gradés qui hurlent leurs ordres. Les balles ennemis brisent les branches à trois ou quatre au dessus de nos têtes. Les cartouches nous manque alors que l’ennemi est arrivé à vingt mètres de nous. Nos grenades font un grand ravage dans leurs rangs tandis qu’ils franchissent les derniers mètres. Toutes les munitions sont épuisés. Pour éviter un massacre inutile, je sort le premier de la tranchée.Il est peut être 21h. C’est fini…»Aspirant BARBIER-BOUVET, chef de section,10éme Cie

Le point d’appui vient d’être pris par l’ennemi. Suite à la résistance opiniâtre montré par les soldats français, l’ennemi est exaspéré par les lourdes pertes subies au cours de cet assaut. On dénombrera environ cent cinquante allemands tués ou blessés. Après avoir fait sortir tout le monde du bois, les allemands demandent pourquoi tant de résistance alors que les français savaient qu’ils allaient être pris. L’aspirant BARBIER BOUVET , par l’intermédiaire de l’aumônier, explique que le groupe de combat a recueilli un soldat allemand et l’a soigné. Le Caporal-Chef MONGUIS, à la même question répondra tout simplement qu’ils étaient des soldats et qu’ils s’étaient battus jusqu’au bout. L’aumônier LAGARDE, parlant allemand, traduit les demandes mais essaie de se porter également au secours des blessés.

«La présence de l'aumônier excite encore davantage leur fureur: Was macht der pfaffe hier?(qu'est ce que fait le calotin ici?), hund-schwein (cochon-chien ), hurlent ils en m'empoignant par la poitrine et en cherchant à arracher ma croix. Je ne sais comment nous avons échappé à la mort. Impossible de m'approcher du Sergent Pecoult, je ne puis constater s'il est bien mort. Impossible non plus de voir s'il y a des blessés ou des morts! On éloigne immédiatement les officiers en nous accablant d'injures:"votre conduite a été ignoble. Vous avez tué des hommes inutilement. Il n'est pas permis de résister comme vous l'avez fait. Vous saviez bien que vous ne pourriez pas tenir!Mais nous avions conscience d'avoir fait notre devoir!» Abbé Alphonse Lagarde

Après les combats, les allemands dirigent les prisonniers vers le carrefour de la Bonne Volonté. A cet endroit, se trouve une pompe ou se désaltéreront les soldats français, car les conditions météorologiques de ce début juin montre un formidable ensoleillement.

«Ils attaquaient en venant de Brienne, en masse à travers les blés. Ils hurlaient et étaient rouge écarlate comme drogués. Nous avons tirés autant que l'on a pu jusqu'au moment ou nous avons été submergés par le nombre. J’ai pris un coup de crosse derrière l’oreille car je n’avais pas pensé à retirer mon revolver de son étui et un allemand l’a vu. Ils nous ont emmenés ensuite à pied à travers champ sur le chemin de la détention. Nous mourrions de soif. Nous nous sommes arrêtés en face de l’actuel restaurant de la Bonne Volonté ou il y avait une pompe dans un jardin. » Soldat Georges Beignard , 3ème section,11ème Cie

Tous les prisonniers du régiment partent sur le chemin de l’Allemagne et l’abbé Lagarde n’échapperra pas à cette règle. Revenu en France en 1942, avec son tempérament de baroudeur, il va consacré son temps à venir en aide aux malheureux, que ce soit pour mettre à l’abri des résistants traqués par la Gestapo où pour sauver des juifs en péril de mort. Cela lui vaudra d’être arrêté durant l’hiver 1943-1944 et transféré de Toulouse au camp de Neuengamme, puis à celui de Dachau. Après la libération, il reprend les fonctions d’aumônier chez les petites sœurs des pauvres de Metz-les Bordes. Il deviendra vers la fin de sa vie un pensionnaire de cet établissement. Il se verra remettre la croix de Chevalier de la légion d’honneur des mains de son ami le Général De Lattre De Tassigny. Fidèle à ses camarades de combat, il participera de nombreuses fois aux cérémonies commémoratives des combats du 9 et 10 juin 1940,et cela dés 1945. Pour le Sergent PECOUT qu' Alphonse LAGARDE n’a pu aidé, il est bien mort pour la France le 10 juin lors du dernier assaut. Celui-ci sera inhumé sur place dans la tranchée même où il avait pris place. Retrouvé au mois de décembre 1940 par le garde champêtre d'Aumenancourt le Grand, Mr Nicolas JOB, il sera transféré au cimetière communal comme de nombreux soldats tombées dans les champs, les bois et les jardins du village.

Pour Charles Barbier Bouvet, il fut fait prisonnier. Libéré en 1945, il appris qu'on lui avait attribué une citation au titre de Chevalier de la Légion d’honneur.("Jeune officier d'une bravoure et d'une trempe exceptionnelle. Commandant un point d'appui de première ligne du bois des Grands Usages, a magnifiquement rempli la mission qu'il avait de tenir sur place, se révélant,au cours des journées du 9 et 10 juin 1940, en héros et en véritable chef. Encerclé dès le premier jour,a repoussé trois assauts et ne s'est laissé submerger par le quatrième qu'après avoir épuisé ses dernières munitions et lancé lui-même,la dernière grenade du poste"(J.O du 12 août 1943)

Il rejoindra en 1999 ces compagnons d’armes tué au combat, à l’âge de 87 ans. Il en sera de même pour Alphonse LAGARDE en 1982 à l’âge de 86 ans. Ce dernier sera inhumé dans le petit cimetière de Varize, d’où il est originaire, à l’est de Metz.