9-10 juin 1940:
Les combats de l’Aisne dans les yeux d’un abbé


L'abbé Alphonse LAGARDE ,  aumonier  du  Régiment,  dans  les  premiers  jours  de  mai  1940 ,
sur un point d'appui dans  le  secteur  de Bouzonville

 

Apres les combats qu'ils mènent au nord-est de Metz, le 151eme RI est amené , pour la majorité de son personnel, par des autobus parisiens le long de l’Aisne au nord est de Reims avec les effectifs de la 42éme division. Au 3 juin son secteur couvre une zone allant de Neufchâtel sur Aisne à Avaux. C'est à cet endroit qu'il va recevoir de plein fouet l’offensive allemande de ce début juin.
"Apres quelques heures de marche nous embarquons aux premières heures de l’aube dans des autobus parisiens, venus de la capitale, pour nous prendre et, nous filons vers l’ouest par la grande route de Verdun... Mes soldats sont enchantés de ce mode de locomotion; ils s’amusent à faire manœuvrer les sonnettes des autobus et les rouleaux sur lesquels on lit à l’arrière : Montmartre, Saint Lazare. Après avoir roulé 16h nous débarquons en fin d’après midi à une dizaine de kilomètres au nord de Reims." Aspirant R. BOVERAT, C.R.E
Parmi eux se trouve Alphonse Lagarde, aumônier du régiment. Né le 17 juillet 1896, il commencera sa carrière sacerdotale à Notre Dame de Metz avant de devenir professeur de philosophie au grand séminaire. L’aumônerie militaire en 1935 n’a pas de statut officiel et seulement trois prêtres assurent officieusement le service de la garnison de Metz. L’abbé Lagarde a la charge des séminaristes soldats. Il deviendra à cette période un grand ami du Colonel DE LATTRE DE TASSIGNY, qui commande le régiment

L'abbé LAGARDE est de petite taille, le teint un peu rouge. On le dit un peu gauche mais il est doté d’un esprit curieux et aventureux. En 1936, il décida de faire un voyage en Espagne. Parti suite à l’invitation d’un ministre du gouvernement révolutionnaire, il célébrera sa messe chaque jour dans une chapelle dans un camp retranché de Madrid. Cela lui apportera à son retour quelques soucis avec son évêque. C’est en janvier 1940 qu’il prend ses fonctions au sein du régiment

Le 9 juin, au environ de 3h30, l’artillerie allemande se déchaîne sur les positions françaises, marquant le début de l’offensive. Chaque position, chaque carrefour sont violemment bombardés. Ces bombardements ont pour effet d’entraîner un épais nuage de brouillard, notamment sur les bords du canal et de l’Aisne. Au petit matin, Alphonse LAGARDE est avec le Colonel DAVAL, commandant le régiment depuis avril. Ils sont au poste de commandement régimentaire installé à Auménancourt le Petit .L'aumônier nous laisse un témoignage poignant offrant une vision beaucoup plus orienté vers la condition du soldat que vers les obligations militaires.

«Je me trouve avec le Colonel du 151eme RI à Auménancourt le Petit quand l’attaque allemande commença sur l’Aisne le 9 juin vers 3h30 du matin. Pendant les premières heures, les obus allemands n’atteignent pas le village, mais ils tombaient dans la forêt sur les bords de la Suippe" Abbé Lagarde
"Mon poste de commandement est installé dans le parc du château de Brienne; c'est un trou recouvert de plusieurs couches de rondins et de terre, dans lequel je peux à peine m’étendre couché en chien de fusil, les genoux sous le menton. A 4 heures du matin, je suis réveillé par un fracas épouvantable. Je mets mon casque, prends mon masque à gaz et, empoignant mon mousqueton, je sors le haut du corps de mon abri. J’ai sous les yeux un spectacle terrifiant dans un vacarme infernal: une trombe d’obus s’abat sur Brienne et sur tous ses environs.…" Aspirant R. BOVERAT, chef de section, C.R.E

Alors que le dernier obus est tombé, l’attaque ennemie est lancée sur le secteur du 2ème Bataillon du Cdt BERTRAND situé à Neufchâtel sur Aisne et ses alentours. De nombreuses embarcations pneumatiques sont mises à l’eau avec pour but de franchir l’Aisne. Malgré une résistance farouche des forces françaises, l’ennemi commence à prendre pied sur la rive .De nombreux canots sont coulés. On assiste à de très sérieux combats rapprochés. Du coté de la 6ème Cie, de violents combats s’engagent au corps à corps. Mais elle est rapidement débordée. Son repli sera protégé par une quinzaine d’hommes et de sous officiers commandés par le Lieutenant Lansade et l’Aspirant Idiart, qui par leur feu attire celui de l’ennemi qui laboure la compagnie. Deux violents assauts sont repoussés mais au 3éme, ce petit détachement ne compte plus que 6 éléments et tous seront blessés ou tués .Le Lieutenant Lansade sera mortellement atteint de 4 balles et d'éclats d’obus. La 7ème Cie interdit le franchissement de l’Aisne à dans le village et rejette par une contre attaque l’ennemi ayant réussi à traverser la rivière. La 5ème compagnie contient l’ennemi à l'est du même village.
"Le Dimanche 9 juin, vers 5h du matin, nous dormons profondément tous trois lorsque tout à coup un bruit infernal nous fait surgir de notre paille .Un véritable déluge de fer et de feu s'abat sur le canal et ses environs .Des colonnes de fumées s'élèvent de toutes parts dans le jour naissant. Mon poste de commandement se trouve le long du canal." branle bas général, tout le monde en tenue et aux postes de combat ". L'ordre oral m'arrive du Capitaine de me porter à son poste de commandement avec ma section .Lainier va prévenir le sergent Spriet, pendant que j'alerte Simon et Faye. Je pars en vareuse, mon pistolet à la main. Le passage du canal est délicat. Il reste une seule barque qui prend l'eau pour nous traverser. Au fur et à mesure que mes hommes traversent, je les installe en ligne sur les bords du canal .La position est intenable sans trou .Je m'enfonce dans le petit bois à gauche, m'éloignant de la Route Nationale constamment bombardée. Au fur et à mesure que mes hommes arrivent, je m'avance vers les écuries de la grande ferme. C'est un point de passage forcé et j'y regrouperai mes hommes. Il ne manque que le Groupe de Combat Bernard. L'ennemi a débordé par la gauche par suite de la défection du 94éme RI. Le groupe de combat Jeanjean est sérieusement au contact mais l'ennemi n'a pas trouvé de trous sur le front de la compagnie. J'installe ma section en triangle, Simon à gauche du poste de commandement, Faye à droite et Picard sur les bords du ruisseau en arrière. Celui-ci est arrivé une demi-heure après nous avec 3 manquants dont je n'aurais plus jamais de nouvelles:Barré, Aubry, et Marcel Lefèvre. Avec mon groupe de commandement, je monte au sommet du monticule qui recouvre le poste de commandement de la compagnie. Vers 7h, Jeanjean en face de l'Aisne sent que sa gauche fléchit .Emery est amené blessé aux deux mains. Le Capitaine m'ordonne alors d'aller mettre un de mes groupes dans cette petite île. J'y vais moi même. A la fin de l'après-midi, ce groupe et celui de Morel seront complètement décimés. Jacubowski et Chauveau dont l'un a traîné son FM et l'autre le Caporal Maurice Bernard grièvement blessé au ventre. Henri Spriet est tué, Raymond Lefévre aussi. Ainsi les Allemands ont débordés Neufchâtel par la droite et par la gauche, se heurtant de front à une vive résistance.»Sous Lieutenant M. BEAURAIN, chef de section,7éme Cie

Pour le 1er bataillon, des infiltrations sont constatées entre les points d’appui des 1ère et 3ème Cies mais ces 2 unités résistent sur la rivière et le canal. Vers 5h00, un message du 2ème Bataillon arrive au poste de commandement régimentaire et donne une idée de la situation: l’ennemi est contenu mais le bataillon est victime de lourdes pertes. Deux heures plus tard, nouveau message annonçant cette fois une situation qui s’aggrave. Les 3 compagnies du bataillon sont submergées, malgré une résistance féroce. La 7ème Cie est encerclée. Des ponts viennent de sauter. Celui de la route Reims–Vervins à Neufchâtel est partiellement détruit. Il permettra le passage de nombreuses unités motorisées ennemies. On note également des infiltrations au sud d’Evergnicourt en direction de Brienne. C’est pourquoi le Sous Lieutenant Amos (5éme Cie) fait sauter le pont à l’intersection du canal et de la Retourne.
"Avant même que les obus fumigènes aient cessés de pleuvoir, nous entendons éclater la fusillade aux bords de l’Aisne, puis des armes automatiques se mettent à cracher: l’infanterie allemande doit passer à l’attaque. Tout le monde est à son poste, mais nous avons déjà des blessés et des tués. Un des premiers atteint a été mon sergent chef, Krier; un éclat d’obus lui a labouré la face à la naissance des cheveux; son visage est effrayant à voir: il semble porter un masque de sang." Aspirant R. BOVERAT, chef de section,C.R.E

Alors que l'assaut ennemi vient de débuter, Alphonse Lagarde part pour Auménancourt le Grand, village qu'occupe la 10ème Cie.
"Vers 7 heures, je me dirigeais vers Auménancourt le Grand. Je rencontre quelques blessés dans la foret. De chaque coté de la route, quelques morts et quelques grands blessés auxquels j’administre les sacrements; parmi eux un prêtre soldat de Versailles, Jean DIMEY. Pour arriver à Auménancourt le Grand je dois traverser un épais nuage de poudre .Les Allemands doivent viser l’artillerie dans la foret .A l’entrée d’Auménancourt le Grand, dans une maison à gauche, je trouve quelques soldats du 3éme bataillon. Je me rends au poste de commandement de l’Artillerie ou je m’occupe de quelques blessés qu’on a transportés dans l’abri de la maison. Puis je continue à traverser le village absolument désert. Je n’arrive pas à trouver d’autres soldats. Ils doivent être dans les abris, je retourne donc à Auménancourt le Petit. En arrivant au pont de la Suippe, je vois qu’un obus est tombé à quelques mètres du pont. Un sergent qui était allé chercher Jean DIMEY est atteint. Tous deux gisent à coté du pont. Dimey parait mort. A Auménancourt le Petit, je me rends au poste de secours organisé par un médecin du 61ème RA. Le poste de secours du régiment est à Bourgogne. Des blessés arrivent continuellement; on les évacue le plus rapidement possible. On manque de brancardiers .Notre poste de secours est peut être trop éloigné. Vers 8h30, j'ai pu voir notre Colonel qui se tenait avec son état major dans la cave du Poste de Commandement. On m'avertit de ne pas parler des blessés ou des morts. Le Colonel veut concentrer toute son attention sur le développement des combats en cours. Il parait calme, mais un peu soucieux. J'entends dire que les allemands ont franchit l'Aisne mais que nous tenons toujours le canal. Le Colonel sans dire un mot, me serre la main et je quitte le poste de commandement " Abbé Lagarde

Vers 9h, la 5ème Cie signale qu’elle ne peut plus arrêter l’ennemi. Une demi-heure plus tard, le commandant Bertrand donne l’ordre de faire sauter le pont sur le canal à l’ouest de la Bonne-Volonté. Il n’a plus aucun contact avec sa 6ème et 7ème Cie. Pour le 1er Bataillon, la situation n’est pas meilleure. Le combat fait rage. Les Allemands franchissent l’Aisne mais subissent de nombreuses pertes. Les soldats français s’accrochent au terrain. Depuis 8h30, la 3ème Cie est engagée dans un terrible corps à corps mais refuse de se rendre.

" Le jour point, et le dernier projectile tombé, une immense clameur s’élève ! Puis, des coups de sifflets se succèdent. Et les armes automatiques de nos postes commencent leur bal! Nos tirs croisés empêchent les canots pneumatiques d’aborder sur notre rive. La plupart sont oubliés, entraînant leurs occupants dans la rivière, et ceux-ci sont tués où blessés. A présent il doit être environ 6h00, déjà! Les gaz fumigènes, nous obligent à porter le masque. Les premiers allemands nous apparaissent, avançant, pliés en deux, cherchant manifestement notre tranchée. Les heures passent, nous tenons toujours nos adversaires en respect. Ils ont hélas, beaucoup de tués ou blessés. Tous sont abattus à bout portant. C’est une vraie marée qui déferle sur nous, par vagues successives...Peu avant midi, je vais voir les mitrailleurs, et soudain mon camarade MAZIER, tireur au FM m’appelle. Un soldat allemand est sur le parapet de notre tranchée prêt à bondir. Se rendant sans doute compte qu’ils ne pourront investir notre point d’appui, les Allemands attaquent à la grenade. Plusieurs d’entre nous sont blessés. A mon tour, je ressens comme un coup de fouet a l’omoplate droite et sent le sang coulé dans mon dos. Mais cela ne m’empêche pas de continuer de tirer. Notre FM ne tire plus que coups par coups." Caporal Marc SEGUIN,3ème section, 3ème Cie

L'abbé Lagarde, s'occupant en priorité de la douleur des hommes rejoint à nouveau le poste de secours du 61ème R.A, qui comprend dans ses rangs Léo LAGRANGE. Agent de liaison auprès du 151 RI, il tombera le matin du 9 juin à l'ouest de Brienne sur Aisne.
"Je retourne au Poste de secours. La, j'apprends qu'il y a des blessés et des morts au bois des grands usages. Je m'y rends immédiatement. Après avoir passé la Suippe, je rencontre plusieurs sections du 3éme bataillon qui se dirigent vers le bois des Grands Usages. Ces hommes ont l'ordre de passer par le bois des grands usages pour aller au bois située en face (bois de la grande fortune) qu'ils doivent nettoyer des parachutistes. Je monte avec ces sections; il est peut être neuf heures. Les avions qui avaient lancées des torpilles au moment ou nous quittions Auménancourt le Petit continuent à nous survoler sans nous inquiéter. En pénétrant dans le bois des Grands usages, nous voyons sur notre gauche, quelques pièces d'artillerie. La foret est continuellement arrosé par un tir de mortier, les avions lancent des torpilles. Dans le bois des Grands usages, trois points d'appuis avec les Lieutenants THIRIET,LANGLOIS,CARRIERE. Nous voyons en passant le Lieutenant LANGLOIS, et nous nous dirigeons vers le poste de commandement du Lieutenant THIRIET. Les sections venant d'Auménancourt le Petit continuent leur marche. Une heure ou deux plus tard elles reviennent. Elles n'ont pas pu pénétrer dans le bois en face. Les allemands l'occupaient déjà et les ont mitraillés dés qu'elles ont voulu s'approcher de la lisière. Un tué, plusieurs blessés. Les sections doivent rebroussés chemin et elles se mettent à la disposition du lieutenant THIRIET qui les utilisent pour renforcer les points d'appui" Abbé Lagarde

Parmi ces deux sections se trouve le Caporal Jean BLANCHARD, de la 10éme Cie...
"Vers onze heures, nous avons reçu, ma section et une autre, je crois, l’ordre de nous diriger en renfort des positions de première ligne. Après avoir traversé la Suippe, mon groupe était à AUMENANCOURT LE PETIT, nous nous sommes dirigés vers le bois des Grands Usages, dans lequel il y avait des sections de la 11ème Cie en position .Nous avons rencontré l’aumônier LAGARDE à la sortie d’AUMENANCOURT qui nous a accompagné jusque dans le bois des Grands Usages. Après avoir traversé le bois nous sommes arrivés sur les positions du Lieutenant THIRIET, nous avons continué notre chemin en direction du bois en face, bois de la Grande Fortune, mais à la sortie du bois, nous avons été accueillis par un tir de barrage violent. Nous nous sommes repliés en vitesse dans le bois, puis au bout d’un moment, le calme revenu, nous sommes repartis, mais cette fois en tirailleur et au pas de course. Comme il fallait s’y attendre, les obus se remirent à pleuvoir mais nous avons réussi à atteindre le champ de blé à environ 300 mètres, nous avons continué notre progression, mais à ce moment les mitrailleuses ennemies ouvrirent le feu. Nous voyons les épis de blé autour de nous coupés par les balles et le miaulement de celles-ci dans les oreilles. Nous continuons d’avancer dans le champ de blé qui est très haut, nous sommes en juin. Nous sommes arrivés en vue du bois en face, alors la fête reprend de plus belle ; tout le monde par terre le nez au sol, nous sommes perdus, je ne sais plus où est mon chef de section, et je ne sais même pas où nous allons." Caporal Jean BLANCHARD, chef de groupe

L'abbé Lagarde se dirige pendant ce temps vers le point d’appui du Lieutenant Langlois qui vient d’être blessé. Il y restera jusqu'à la fin des combats au soir du 10 juin et il y sera fait prisonnier.
"Vers 10 heures j’apprends que l’aumônier est arrivé au P.C. Il avait prévu hier d'y dire sa messe. On prétend qu’il attire les bombardements. C’est à croire car le tir reprend plus dur, plus brutal, plus dense que ce matin. Ca tombe tout autour de nous arrachant les arbres, projetant les pierres. Le Caporal VAUDRON est sérieusement blessé, peut-être tué. J’envoie DAVOIGNEAU au Poste de Commandement pour rendre compte et prévenir l’aumônier et me précipite chez HANRART. Le bombardement cesse brusquement. A mon troisième groupe, tout est sans dessus-dessous. VAUDRON est là sur le parapet de la tranchée. Il a été tué sur le coup. Le projectile a éclaté derrière lui contre un arbre, et lui a complètement emporté le dos. L’abbé LAGARDE et les deux brancardiers arrivent presque tout de suite. Il ne peut que constater la mort de VAUDRON. Il lui administre les derniers sacrements ; cérémonie émouvante au milieu de cette trouée causée par des projectiles. L’aumônier est à genoux à côté du mort. Il ne faut pas se laisser démonter, la ligne de l’AISNE serait crevée et l’ennemi peut se présenter d’un moment à l’autre."Lieutenant REVERSAT, chef de section ,11éme Cie
Partout dans le bois, les hommes sont éprouvés par le bombardement .Les projectiles sont également très meurtriers.
"Auparavant, nous avons appris que le Lieutenant LANGLOIS était blessé .Le Lieutenant THIRIET avait immédiatement désigné le sergent chef MARIDET pour le remplacer. J'accompagne le sergent chef. Bientôt arrive l'Aspirant Charles BARBIER-BOUVET, avec sa section qui n'a pas pu avancer et il prend le commandement du point d'appui. Le jour même ( 9 juin ) ou le lendemain, le sergent Chef MARIDET qui s'était montré très courageux est atteint par un éclat d'obus. Il succombe immédiatement. Quelques autres blessés ou tués. Pendant l'après midi et la soirée, des brancardiers conduits par le prêtre soldat de Lespinois, aumônier auxiliaire du 3eme bataillon, qui là encore, se fait remarquer par son dévouement et sa bravoure, viennent de Pontgivart pour transporter les soldats"Abbé Lagarde

"J’apprends là que LANGLOIS est sérieusement blessé à la jambe et à la main. Sans se déranger le Lieutenant THIRIET envoie le Sergent Chef MARIDET pour le remplacer. Les brancardiers n’étant pas là, LANGLOIS restera assez longtemps sur son Point d'appui sans aucun soin. Le Chef MARIDET sera tué peu après son arrivée et sera remplacé à son tour par un de mes élèves du Camp d’AUVOURS, l’Aspirant BARBIER-BOUVET". Lieutenant REVERSAT, chef de section,11éme Cie

L'aspirant est donc désigné en fin de matinée le 9 juin pour commander le point d'appui centrale du bois des Grands Usages. Il y retrouve les hommes du Sous Lieutenant LANGLOIS ainsi que l'abbé LAGARDE

"J'ai reçu l'ordre de m'installer au centre de la lisière nord du bois des grands usages et de prendre le commandement du point d'appui. Vers 14h, des éléments ennemis assez nombreux passent tranquillement à 200 mètres de la lisière nord, en direction du sud-est. J'ordonne le tir de tout mon point d'appui. L'ennemi oblique vers l'est. Sa réponse n'est autre que le bombardement du bois suivi d'une attaque d'infanterie mais nous les repoussons" Aspirant BARBIER-BOUVET, chef de section,10éme Cie
Vers 16h, le Lieutenant Maurice GUILLOUET commandant la 3ème Cie, arrive au P.C du 1er bataillon qui tient toujours à Brienne. Il est rejoint peu après par le Sous Lieutenant Belval qui arrive avec des blessés. Il informe son supérieur, le Commandant PINAUD que ces points d’appuis se défendent farouchement mais l’Aisne et le canal ont été franchi à plusieurs endroits. On notera , notamment et parmi tant d'autres ,l'attitude du Sous Lieutenant De THUBERT( 3éme section/3éme Cie ) ,qui commande un point d'appui sur l'Aisne .Résistant avec ses hommes jusque 17 heures, il trouvera une mort tragique sur les bords de l’Aisne.

«Vers le soir, je vis arriver le Sous Lieutenant Christian De THUBERT, marchant entre deux allemands,dont l’un avait un pistolet à la main. Il s’arrêta et me dit : « tu es arrivé là ?tu es blessé .Ne crains rien, l’on viendra te ramasser » Puis il s’éloigna. Mais avant de disparaître de ma vue, il se retourna, comme pour me parler une dernière fois. Il y avait des petits bosquets assez touffus. J’entendis un coup de feu .Notre Lieutenant, pourtant prisonnier et désarmé, venait d’être abattu .J’appris plus tard ce qu’il s’était passé…Seul le point d’appui du chef de section avait résisté jusqu’au environ de 17 h 00. Plusieurs assauts avaient été repoussés, coûtant des pertes considérables aux assaillants. Au dernier assaut , les allemands avaient fait s’avancer devant eux un des nôtres ,le soldat VERIEN en l’obligeant à crier «Mon Lieutenant, rendez-vous ».Notre tireur FM vidait le dernier chargeur ,le Lieutenant De THUBERT blessant lui-même un capitaine .Notre Lieutenant s’adressa alors à ses hommes en ces termes: « Vous allez être prisonnier , mais vous n’avez pas à avoir honte , car vous avez fait plus que votre devoir .Quant à moi…. ».Ils jetèrent son corps au fond d'une tranchée sans croix ni casque permettant de retrouver sa tombe .Il ne fut retrouvé que 63 ans plus tard sur les bord de l’Aisne…» Caporal Marc SEGUIN,3ème Cie

A la même heure, le Colonel BOUCHANCOURT, commandant la 42ème D.I. demande au Colonel DAVAL et il lui demande d’établir une nouvelle ligne de défense: Merlet, Bertricourt, bois des Grands Usages et la Retourne. On lui a laissé entendre un appui des chars d’assaut. Il annonce également la mise à disposition du régiment des 3 compagnies du 21ème bataillon d’instruction du 80ème RI. Celles-ci arriveront entre 18h et minuit. Ce sera le seul appui que le régiment recevra. Les chars seront vainement attendus. Les stukas s’acharnent maintenant sur les ponts de la Suippe et les villages qui la bordent ainsi que sur le bois des Grands Usages. Dans le bois, les troupes françaises n'ont que peu d'informations sur ce qui se passe devant eux sur le front de l’Aisne mais également derrière eux car ils comprennent vite que les troupes allemandes veulent contourner le bois

"Pendant toute la journée du 9 juin , nous avions pu garder la liaison avec le lieutenant THIRIET, malgré les infiltrations ennemis, mais impossible de reprendre la liaison avec le Lieutenant CARRIERE ( positionné à la ferme de l’utilité). Dans la nuit, nous devions apprendre qu'il avait été fait prisonnier avec son groupe dans l'après-midi de la même journée (9 juin ).Pendant la soirée, le Colonel nous fait savoir que le bois des grands usages devient première ligne (Merlet,Bertricourt,bois des grands usages).Une contre attaque avec chars va nous dégager. Il nous faut tenir sur place. Vers le soir, l'ennemi sort de la foret en face. Il commence une attaque mais vers le déclin du jour, il doit se retirer" Abbé Lagarde

Le bataillon d’instruction arrive et est dirigé respectivement entre Orainville et le bois des Grands Usages. Ce bataillon n’a jamais vu le feu. En cette fin de journée le Colonel Daval a donné l’ordre de repli au 1er bataillon sur le bois des Grands Usages à la faveur de la nuit. Il aura comme protection sa 2ème Cie et le bataillon se dirigera ensuite sur Auménancourt le Grand. Le repli se réalise comme prévu et les éléments restants du 1er bataillon quittant des positions devenues insoutenables traverse le bois des Grands Usages vers minuit. On compte de très nombreuses pertes pour cette journée. Le 2ème bataillon a été réduit à 5 officiers et 185 hommes.

"Je fais le tour de ma position à Brienne pour réunir tous mes hommes, dont les trois quarts sont maintenant abrutis par le bruit, la soif, les visions d’horreur des heures qu’ils viennent de passer depuis le lever du jour: ils sont heureux d’apprendre qu’ils peuvent enfin partir. Nous sommes obligés, par malheur, de laisser au poste de secours quelques-uns de nos grands blessés, qui n’ont pas encore été évacués par des ambulances; les autres blessés pouvant marcher se joignent à nous, ainsi que quelques hommes du 1er bataillon. Nous nous replions de trois kilomètres vers l’est à travers bois, après avoir récupéré au passage ma 3éme pièce, qui a encore son cheval, ainsi que ses servants. Je dois avoir une soixantaine d’hommes avec moi, et quelques autres nous rattraperont encore. Un peu avant minuit nous arrivons enfin à la corne nord est du bois des Grands Usages. A cet endroit,des pionniers et des réservistes l'occupent . ils ont souffert sérieusement des bombardements mais ont ordre de défendre le bois qui est attaqué. On me dit en même temps que l’ennemi aurait déjà pénétré dans l’est du bois, mais ce n’est là qu’un bruit rapporté par des soldats et que je ne peux vérifier, ne parvenant à joindre aucun officier. Comme il est normal, en tout cas, de défendre le bois, nous commençons sans tarder, malgré notre extrême fatigue, à organiser sa lisière nord est, à creuser des trous, à mettre le canon et les fusils mitrailleurs en position." Aspirant R. BOVERAT ,C.R.E

Vers 1h15, le premier bataillon quitte le bois des Grands Usages pour se diriger vers Auménancourt le Grand. Il participera à la défense des abords du village. Le reste du deuxième bataillon se rend à Auménancourt le Petit et prend position sur la rive sud de la rivière. En ce qui concerne la 7ème Cie, encerclé dans Neufchâtel sur Aisne, ses hommes résisteront jusqu'au 10 juin dans la matinée avant d’être réduite.

"Le 9 juin, la bataille est engagée à fond et pendant 27h, sans manger, nous allons tenir .Le GC Simon se met en batterie, face à l'Est, dans une maison prés du petit château oriental. C'est là qu'il descendra 2 allemands et que Picard ramènera leurs mitrailleuses légères Vers le soir, nous voyons le Lieutenant Lansade, arrivant blessé d'une balle dans la cuisse et une dans le ventre, amené sur la place de Neufchâtel par un Allemand qui le laisse là .De Waeg lui fait un pansement sommaire et il va resté avec nous, jusque la dernière minute, souffrant en silence, héroïquement. Le GC Faye sera plus malmené. Je l'avais poussé sur les avants postes, entre les groupes Jeanjean et Tessier .Du haut de la grande falaise, les Allemands nous tirent comme des lapins .Les tranchées sont heureusement étroites et profondes .....Vers 15 h , les 155mm français se mettent à tirer. Croyant sans doute qu'il n'y a plus personne sur l'Aisne , l'artillerie française déclenche un tir de barrage .Malgré nos fusées demandant l'allongement du tir, les obus tombent sur nous .Nerdeux et Thérin sont écrasés sous mes yeux, Godart que j'avais envoyé en liaison, revient, la moitié de la figure emportée mais sa mission remplie ....20h : de l'ennemi, nous ne savons rien .Le contact est serré sur l'avant, mais nous barrons toujours la route de Reims. Nous sommes encerclés et sans plus d'espoir....21h:J'installe mes hommes dans une cave ou ils découvrent une bouteille de vin .Ce sera la dernière gorgée de vin de France .Je veux que mes hommes dorment, sauf 3 guetteurs au FM. C'est pourquoi je permets qu'ils s'installent le mieux possible .La nuit sera calme et actuellement je n'ai aucun regrets d'avoir pris ces dispositions..
Le 10 juin, à 7 h du matin, nous faisons un conseil de guerre avec le Capitaine. Notre situation est peu banale .Une seule chance nous reste. Si le cordon de troupes ennemies derrière nous est peu épais, nous pourrons peut être le traverser,en y laissant des nôtres, c'est sur. Nous ne nous faisons pas d'illusions. Nous prenons donc la direction du sud. L'armement et les munitions sont maigres. Mes 3 FM seuls avec 5 boites de chargeurs remplies avec les munitions individuelles. Le soleil,déjà très chaud darde ses rayons sur cette terre meurtrie, mais redevenue calme et pleine du chant des oiseaux. Au loin, la fusillade crépite, le canon gronde. Les maisons sont démolies, la route barrée d'entonnoirs, la destruction du pont a fait de l'Auberge de la Marine une véritable passoire .Aucun allemand en vue. Lentement, nous franchissons le canal sur le pont sauté dont le tablier affleure l'eau. Partout le sol est couvert d'équipements et de cartouchières. A la sortie du bois, un spectacle étrange s'offre à nos yeux .La ferme de la Bonne Volonté où j'ai fureté tant de fois est devenue un poste de secours allemand .Les blessés y gisent en grand nombre amenés par des side-cars remplies d'oreillers. Les avions nous survolent à basse altitude, il faut faire front de toutes parts à la fois, ramper dan la boue molle sous les roseaux, traverser rapidement les clairières et les sentiers qui peuvent être pris d'enfilade par des armes automatiques. Nous allons au hasard, peut être à bras tendus dans la souricière .C'est la "Retourne", petit ruisseau descendant de Reims vers l'Aisne, qui nous arrête. Pendant une heure le Capitaine s'en va. Il tâtonne,il cherche le petit couloir dans les troupes allemandes où nous pourrions nous glisser .Peines perdues! De toutes parts émergent des casques verts, camouflés dans les blés .Il est 11h 30, Lansade souffre le martyr. Que faire? Attaquer? Les hommes sont si faibles, il reste peu de munitions et mes 3 Fusils Mitrailleurs seuls, et pourquoi organiser une boucherie que l'on sait inutile? La décision est prise. La " retourne " reçoit les culasses .Picard s'avance. La 7ème Cie a fini d'exister !" Sous Lieutenant M. BEAURAIN, chef de section, 7éme Cie

Le troisième bataillon maintient l’occupation de Pontgivart avec sa 9ème Cie et du bois des Grands Usages avec sa 11ème Cie. La défense de ce dernier est renforcée par l’arrivé des 2 compagnies du bataillon d’instruction. Elles sont commandées par le commandant Decap, chef du bataillon. La 10ème Cie tient toujours Auménancourt le Grand et le poste de commandement du bataillon est à Pontgivart. Suite à l’action ennemi sur le point d'appui de Merlet commandé par le Sous Lieutenant Villey, le Colonel DAVAL donne l’ordre à la dernière compagnie du bataillon d’instruction de se diriger dans cette direction avec pour mission de barrer l’accès. Elle sera précédée par la section d’éclaireur motocycliste du Sous Lieutenant Puech .Ces éléments ne peuvent atteindre le village et refluent vers Orainville. L'abbé Lagarde vient de passer la nuit au milieu des hommes du point d'appui de l'Aspirant Barbier Bouvet. Le jour va bientôt se lever.

10 juin: 5 heures du matin: Après un violent tir d’artillerie et destructeur, l’ennemi reprend son attaque sur le bois des Grands Usages simultanément sur les faces nord, est et ouest. Les combats menés par la 11ème Cie, renforcés par les différents éléments arrivés le 9 et dans la nuit, sont très durs. Au vue de la menace d’encerclement et de la supériorité en effectif de l’ennemi, le Lieutenant THIRIET donne l’ordre de repli. Cette ordre est exécuté vers 6h45 en direction de Pontgivart et d’Auménancourt le Grand. Cette compagnie a perdu les deux tiers de son effectif et ne reverra plus les compagnies du bataillon d’instruction. Cependant, tout le monde ne sera pas toucher par l’ordre de repli, notamment l’Aspirant Barbier Bouvet. De fortes infiltrations sont constatées entre Pontgivart et Auménancourt le Grand. L’ordre est donné au premier bataillon de se diriger vers Auménancourt le Petit alors que d'autres éléments font sauter le pont sur la Suippe au milieu du village de Pontgivart vers 7h30.

"Après une nuit relativement calme commence une journée d'attente, d'incertitude et de résistance, qui devait mettre en valeur les qualités de notre chef et de ses hommes. Dés le matin nous essayons par deux fois de reprendre la liaison avec le Lieutenant THIRIET. Les hommes qui ont été envoyé ne revienne plus. Parmi ces hommes, il y avait un sergent qui était toujours volontaire pour les liaisons les plus difficiles. Nous avons l'impression d'avoir l'ennemi dans le dos. Que devons nous faire? Devons nous chercher à décrocher? La question se pose, elle est posée. Dans les premières heures de la journée, nous aurions pu essayer avec une certaine chance de succès. Les allemands n'ont du arriver sur la Suippe du coté de Pontgivart que vers 8 ou 9 heures du matin». Abbé Lagarde
«Le 10 vers 3 heures et demie, NIAUDET vient me donner quelques renseignements : une partie de la Compagnie du 80° R.I. occuperait la lisière Est mais très faiblement. L’ennemi qui occupe le petit mouvement de terrain au Nord du bois, à l’air de vouloir reprendre son avance. De nouveau mes fusils mitrailleurs ouvrent le feu. Sur ma gauche la progression reprend de nouveau; les tirs d’armes automatiques ennemies commencent à se faire entendre. Et voici le bombardement qui recommence augmenté cette fois de quelques bombes d’avions; l’aviation bombarde également en arrière sans doute sur PONT-GIVARS. Le tir dure un bon moment puis s’allonge; l’ennemi semble vouloir prendre pied dans le bois.» Lieutenant REVERSAT, chef de section,11éme Cie

A 7h45, le Capitaine CLAUDEL, du 1er bataillon, établit une demie compagnie à hauteur de la ferme sud de Pontgivart car on vient de lui signaler que l’ennemi s’apprête à traverser la Suippe, ce qui fut fait vers 8h. La section motocycliste est également présente.

"Je passais le dernier le pont sur la Suippe après avoir refait un saut pour chercher une musette avec des munitions. Quand je me trouvais à quelques mètres de l'autre rive, l'artificier du génie préposé à la destruction du pont l'a fait sauter sans attendre que je soit à l'abri....l'un de mes camarades me signale que la passerelle prés du moulin était entière. J'ai demandé à 3 hommes de mon entourage de se poster prés de l'angle du moulin pour essayer de prendre en enfilade cette passerelle ; mais au bout de quelques instants , le même observateur me dit " chef , l'ennemi est sur la passerelle avec baïonnette au canon!" Soldat Henri SAAM,3éme section,9éme Cie

Le Colonel DAVAL envoie son premier bataillon s’établir entre Auménancourt le Petit et les abords du carrefour de Brimont à hauteur de la route de Reims . Les 1ère et 3ème Cie sont presque immédiatement arrêtées par le feu ennemi et ne peuvent atteindre leurs objectifs. La 2ème Cie accède à la route mais est menacée rapidement par l’ennemi. Ce qui amène vers 10h le Capitaine Degat a se porter avec la section du Sous Lieutenant Bayle vers la batterie occupant Brimont. Pendant ces différents mouvements, le combat continue aux bois des Grands Usages. Certains groupes ont été laissé sur place pour protéger le repli.

« Au cours de la nuit du 9 au 10 juin, le Lieutenant THIRIET donne l’ordre de repli,me laissant seul avec mon groupe pour assurer la protection du repli, je suppose. La nuit se passe sans incident. Au petit matin du 10 juin nous subissons un bombardement intense qui dure un bon quart d’heure. Cela paraît bien long lorsqu’on le subit. Puis ce sont des obus fumigènes ,nous ne voyons plus à deux mètres .Nous entendons des bruits de voix , des appels,assourdis par le fracas des éclatements d’obus du bombardement que nous venons de subir. Nous ne pouvons entendre le sens de ces paroles .La fumée se dissipe alors et nous voyons des groupes ennemis passer devant nous, les plus proches à cinquante mètres au plus. Sans réfléchir, je donne l’ordre d’ouvrir le feu , plusieurs tombent, les autres se tournent dans notre direction sans doute pour nous repérer ou surpris de trouver de la résistance. Ils se jettent à terre puis se mettent à nous canarder, mais leur tir est trop haut .Les balles cisaillent les branches au-dessus de nos têtes. Il y en avait certainement d’autres dans le bois ou bien ce sont ceux d’en face qui nous envoie des grenades également, cela je ne le saurais jamais, car tout à coup, je ressent un choc violent à la tête et je perds connaissance. Au bout d'un certain temps,je reviens à moi .Il n’y a plus personne, pas d’ami, pas d’ennemi, c’est le silence. J’essaie de me relever, mais je n’y parviens pas. Je suis également touché au jambe, dans le dos, au coté droit. J’enlève mes cartouchières qui me font souffrir. Celle de droite, pleine de cartouches, est déchiquetée sans doute par un éclat. Je crois qu’elle m’a sauvé la vie. Tout à coup j’entends des gémissements. Je me traîne dans cette direction et à quelques mètres de là, je découvre un soldat de mon groupe, Jules TRASSARD, qui a les deux jambes criblées d’éclats, son pantalon est plein de trou. J’essaie de lui faire des pansements mais c’est impossible. Je décide d’aller chercher du secours .TRASSARD ne veut pas que je le quitte mais d’un autre coté, nous ne pouvions rester ainsi sans soins. Je pars donc en me traînant car je ne peux me tenir debout. Je fais donc quelques centaines de mètres en direction d’Auménancourt. Tout à coup, j’aperçois à une certaine distance un groupe d’officiers allemands qui semble surveiller le déroulement de la bataille au loin » Caporal Jean BLANCHARD, chef de groupe,10ème Cie

«Avec tout mon monde j’arrive à la maison forestière. Des Allemands sont là qui me crient: « Halte, halte ». SWONKA qui était à côté de moi ouvre le feu avec son F.M. et nous passons tous. L’ennemi réagit très violemment. Ses armes automatiques crachent avec fureur. Personne n’est touché et nous filons sous bois par le layon extérieur. Le poste de la barricade de PONTGIVART vient d’ouvrir le feu. Je rentre sous bois, et retrouve la 3ème Section qui vient de perdre son chef. L’adjudant PICHODOU a été tué au moment du décrochage. Nous faisons tous face à l’Ouest et au Nord et ouvrons le feu avec tous nos fusils mitrailleurs, puis par échelon, nous décrochons. Un homme est tué, et le Caporal-chef COULADON est sérieusement blessé aux jambes. SWONKA le soutient et tous les deux continuent vers PONT-GIVART. L’Aspirant TESSIER résistera avec moi. Mais l’ennemi nous bouscule encore. De PONT-GIVART ; le feu devient plus intense. Nous décrochons encore jusqu’à la lisière Sud. Je constate alors que l’ennemi a débordé le bois de part et d’autre et cherche à nous encercler. Je donne l’ordre à tous de regagner PONT-GIVART. Nous nous faufilons dons les blés, sous le feu des armes automatiques. Il n’est plus question de se camoufler, il faut aller vite. Nous profitons de l’appui de feu de la barricade de PONT-GIVART où nous arrivons à temps» Lieutenant REVERSAT, chef de section,11éme Cie

Depuis 8h30, les deux Auménancourt sont attaqués par l'ennemi. Le deuxième bataillon, réduit à 70 hommes, 1 mitrailleuse et un fusil mitrailleur, se repli sur Bourgogne. Le Poste de commandement du régiment vient de s’y établir. Ils sont appuyés par les chenillettes de la Compagnie Régimentaire d’Engins. L’une d’elle sera détruite en fin de matinée à l’entré d’Auménancourt le Grand alors qu'elle vient d'apporter le ravitaillement. L’ennemi vient de poster une section antichar au environ de l’entrée ouest du village. Ses tirs détruiront la chenillette et des tirs de mortiers essaieront également de réduire au silence les défenseurs du village

«Nous étions en réserve à l’entrée d’Auménancourt avec une batterie de 105mm et avons été bombardé par les stukas. Des artilleurs ont été blessés. Le groupe du Caporal chef Bonte était en position à l’entrée du village, le tireur FM de ce groupe a été tué et les Allemands se sont infiltrés dans le bois à gauche du village. Au cours d’une mission,j’ai vu un groupe d’officiers allemands à l’orée du bois qui discutait. N’ayant que mon fusil, j’en ai rendu compte au chef de section et je suis retourné au poste de commandement de la compagnie chercher le mortier de 60 mm. Les gars ne voulaient pas venir. Ils se sont quand même décidés et on a envoyé quelques obus dans le bois. Le lieutenant Curtenelle, qui commandait la compagnie était surpris de me voir faire encore des liaisons alors que nous étions encerclés. Nous avons été faits prisonniers le 11 juin…» Soldat Félix CAVEL,4ème section,10ème Cie

«Au environ de midi le 10 juin, le sergent chef Diolez qui appartient à la 1ère section de la compagnie régimentaire d’engin est en position à l’entrée d’Auménancourt le Grand avec un canon de 25mm. Il était connu comme quelqu’un qui aimait se battre. A cet endroit sont présent également le soldat Choutier, agent de liaison du Sergent Chef, le caporal Buggia, le soldat Fés et moi. Le soldat Choutier doit d’ailleurs partir au Poste de commandement de la compagnie. Je suis avec le sergent Chef DIOLEZ et le caporal Buggia dans une chambre au premier étage d'une maison à l’entrée du village .Etant de garde ce matin la, je remarque des choses «bizarre». Alors que je viens de voir la chenillette être détruite, le sergent Chef prend ma place et observe avec ses jumelles. Après quelques minutes de réflexion, il nous ordonne en ces termes «couchez vous c’est un mortier». Quelques secondes plus tard, un projectile frappe la maison, au coin ou se trouve la chambre. Le Sergent chef Diolez est tué sur le coup. Le caporal Buggia a le bras gauche arraché et des éclats dans le ventre. Je suis couvert de sang mais je n’ai miraculeusement aucune blessure. Je vais descendre avec mon camarade Bruno Buggia à la cave afin de le mettre à l’abri. Je croyais devenir fou après avoir vu et subi de tel chose à 18 ans et demi. Je n’oublierais jamais cette chambre et cette cave ou le drame s’est joué. » Soldat Henri COLART ,1ere section,C.R.E

Pour les soldats qui tiennent le bois des Grands Usages, les heures amènent leurs lots de mauvaises nouvelles et n’ont pas été touchés par les différents ordres de la veille et de la nuit. Ils ne savent pas que depuis la fin de matinée ils sont le seul point d’appui à occuper le bois. Résister est le seul mot d'ordre. L’abbé Lagarde est impressionné par le chef du point d’appui où il se trouve.

«L'Aspirant BARBIER-BOUVET qui devait se révéler un véritable chef par son sens du devoir, par la netteté de ses décisions, par sa bonne humeur constante, par son dévouement pour ses hommes, par son talent à encourager son groupe, prend le billet que le Colonel lui a envoyer la veille, et il le lit à haute voix:"Tenir sur place". C'est clair et c'est simple. Il n'y a qu'a obéir. Pendant la journée, on devra subir trois attaques de l'ennemi qui toujours est contraint de se retirer. Depuis la veille,on manque de nourriture et surtout de boisson. Le Sergent PECOUT se déclare prêt à aller à la maison du garde forestier pour chercher de l'eau. Il tombe sur plusieurs allemands. Ils ne peut atteindre la maison, il se dirige vers le point d'appui tenu la veille par le Lieutenant THIRIET. Il ne trouve plus personne. Plus tard en captivité, nous avons appris par un lieutenant d'Artillerie rattaché à son point d'appui, que le Lieutenant THIRIET avait du se replier dans la nuit sur le poste de commandement préparé pour le Colonel du régiment dans le bois des Grands Usages,et que le matin il avait réussi à décrocher, alors qu’ il était presque complètement encerclé. Ses ordres n'ont pas pu parvenir jusqu'a nous .Le sergent PECOUT revient avec un peu d'eau qu'il a trouver au premier poste de commandement du Lieutenant THIRIET» abbé Alphonse Lagarde

Cependant l'aspirant Barbier Bouvet voit bien que ses hommes sont arrivés au bout de leurs limites.
"Le moral des hommes est assez bas. Ils ont été éprouvés par l'annonce de cette contre attaque avec chars qui n'a pas eu lieu hier soir, par l'annonce de l'arrivé à leur droite du 1er bataillon dans la nuit, qu'ils n ont pas trouvé cet matin. Ils sont accablés maintenant par le défilé continuel des colonnes allemandes qui passent à l'est du bois puis également à l'ouest. La disette d'eau et de vivres se fait sentir .Le sergent Chef MARIDET et le soldat BERINI doivent être enterré dans un boyau inutilisé. Vers 11h30, un soldat allemand venant de l’est et longeant à bicyclette la lisière Nord arrive à quelques mètres d’un guetteur, qui surpris, tire. L’allemand blessé est recueilli. Il m’apprend qu’un poste d’une cinquantaine d’hommes est installé un peu plus loin. Se croyant maître du bois, il cherchait de l’eau.
J’envoie alors le sergent PECOUT et un homme avec un compte rendu verbal pour le cas ou il serait fait prisonnier, au poste de commandement du Lieutenant Thiriet avec mission de savoir ce qui se passe. Le sergent Pecout revient deux heures plus tard n’ayant trouvé personne mais de nombreux allemands en divers point du bois. La nouvelle de l’isolement du point d’appui perce et jointe au manque d’eau porte un nouveau coup aux hommes." Aspirant BARBIER-BOUVET,chef de section,10éme Cie

Voilà 24 heures que l’abbé LAGARDE est sur ce point d’appui. Il y voit des hommes courageux mais qui se rendent compte que la puissance du nombre aura bientôt raison de leur petit groupe d’hommes. Cependant, ils sont tous bien décidés à garder ce petit bout de terre et à barrer la route à l'ennemi.
«Pendant l'après-midi, nous voyons passer au loin les chars qui se dirigent vers Pontgivart. Le bois doit être en grande partie occupé par les allemands qui sont venus par les cotés. Nous voyons d'ailleurs apparaître deux soldats allemands à 100 mètres de notre point d'appui. Nous arrivons à faire deux prisonniers après les avoir blessés. L'un est mort une heure plus tard. Vers 17h, de nouveau, nous voyons apparaître à la lisière du bois en face, des masses compact qui semblent vouloir tenter une dernière attaque contre nous, afin de dégager complètement le bois des Grands Usages. Nous faisons l'inventaire de nos munitions, il faudra les ménager. Notre Aspirant donne des ordres très sévères: défense absolue de tirer avant que l'ennemi ne soit à 200 mètres, chaque coup doit porter. Notre chef va d'un groupe à l'autre, donnant des ordres très précis, soutenant le courage des hommes. Puisque nous n'avons pas le droit de tirer en voyant l'ennemi qui s'approche lentement, nous avions tout le temps pour réfléchir et certains réfléchissent tout haut. Ce sera la mort puisque le chef, qui n'a pas voulu chercher à décrocher, déclare à présent qu'il ne saurait être question de se rendre. Tenir sur place aussi longtemps que nous pourrons. Le devoir, que c'est beau, que c'est grand quand on l'accepte sans hésiter et sans discuter tout en mesurant tranquillement et clairement l'étendue du sacrifice, et quand on aurait presque le droit de passer outre. Presque tous demande à se confesser, et ils reçoivent la Sainte Communion. Un soldat exprime le désir d'être baptisé- quelques minutes de préparations- les grandes vérités de la religion ne sont pas pour nous en ce moment de simples formules du catéchisme, nous les redisons alors en pénétrant dans leurs sens d'éternité. On trouve encore quelques gouttes d'eau. Elle devient précieuse cette eau que le sergent Pecoult a rapporté en risquant sa vie. L’eau coule sur le front du nouveau catéchumène. Un parrain a posé la main sur l'épaule du nouveau chrétien. Toutes les prescriptions liturgiques sont observées. Le devoir jusqu'au bout et dans les moindres détails. C'est facile quand le Chef donne l'exemple» Abbé Lagarde

L'ennemi se prépare à l'assaut et chaque fusilier-voltigeur français sait qu'il sera farouche .Il sera difficile de résister.

"Vers 18h , divers indices indiquent que les allemands vont attaquer. Le moral des hommes est très bas et j’organise mon point d’appui pour résister à ce dernier élan. Il reste cinquante à cinquante cinq hommes, huit fusils mitrailleurs, un canon de 25 mm, un pistolet mitrailleur en état de servir,6000 cartouches de fusils mitrailleurs et trois caisses de grenades. Chaque gradé est responsable d’une partie du point d’appui. L’aspirant POTIER (qui commandait la 2éme section qui avait été envoyé en renfort le matin du 9 juin) et le sergent Boyer me secondent. Ordre est donné de tirer jusqu'à épuisement des cartouches et des grenades. L’aumônier LAGARDE apporte à chacun le réconfort de son ministère". Aspirant BARBIER-BOUVET, chef de section, 10éme Cie

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