La vie du poste de commandement régimentaire
Soldat Emile DUCOIN- Dessinateur affecté au PCRI -
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Commencement de la retraite:
10 Juin 1940 - Le Colonel Daval avait fait aménager la ferme en vraie forteresse en vue de la résistance, mais vers 7h00 du matin il reçoit l’ordre pour le régiment d’exécuter immédiatement les allemands avançant rapidement vers nous.

A 8h00, le P.C. se replit , les uns à pieds, d’autres en bicyclettes, la camionnette part en avant. Direction donnée : Bourgogne (à 4 ou 5 km au sud). Je pars à pieds en colonne le long des fossés. En sortant du village, on assiste au bombardement aérien du Fort de Brimont à notre droite.
Vers 9h30, nous arrivons dans Bourgogne. Nous cherchons le P.C. que nous trouvons de suite.
Là nous faisons une pause jusque 1h00 ou 2h00 de l’après-midi, durant laquelle nous sommes bombardés par l’artillerie ennemie. Un obus tombe dans la cour où nous sommes installés, aucune victime.

10 Juin 1940 – L’après-midi vers 2h00 nous reprenons la route toujours à pieds. Par suite d’une confusion au moment du départ, nous nous trouvons à 4 du P.C. seulement : Popol, Marquet, Varsaba et moi, les autres étant partis en avant sans nous, ainsi que les cyclistes. Le long de la route, nous faisons des pauses, car sous un soleil de plomb, sans avoir mangé depuis la veille, nous commençons à être fatigués.
Nous rencontrons à l’entrée d’un village des troupes noires qui devaient venir nous relever ce jour même, mais qui par suite des évènements sont restées aux environs de Reims.
Nous arrivons après bien des difficultés de marche à La Neuvilette. Je suis épuisé. Carasson, le sergent de liaison me donne une goutte de rhum ainsi qu’aux camarades. Nous nous reposons quelques heures. Bernard me prête son vélo pour continuer la route, il ira à pieds. Vers 4h00, nous reprenons la route. Des soldats du génie s’apprêtent à faire sauter le pont sur l’Aisne. Nous prenons la digue du canal. Objectif : Bézanne, au Sud de Reims.
Nous passons près d’une usine où 2 réservoirs d’essence flambent. Nous continuons la route. Je rencontre le reste de la 2ème Compagnie avec le Capitaine Degat en tête, le long de la route. Il reste environ 30 hommes !! Je demande des nouvelles d’Henri Defrance à Marcel Cacheux qui me répond qu’il ne l’a pas vu descendre du champ de bataille, il craint qu’il ne soit tombé.

Bézanne

10 juin - 8h00 du soir. Nous arrivons à Bézanne. Nous trouvons le P.C. On prépare notre paille pour se reposer un peu, en face du château où est installé le P.C. Je trouve quelques lits, je me couche après avoir mangé un peu de « singe », avec Féo. Je dois monter la garde de 3h00 à 4h00. Le départ est fixé à 6h00 demain matin. Demarbaix me trouve un vélo que j’arrange et que j’utilise. Celui de Jean Bernard je le passe à l’Abbé Lebaron. A 6h00 du matin, départ pour Ludes, nous somme une dizaine en bicyclette.

Ludes

11 Juin 1940 - Après avoir passé à travers les faubourgs de Reims, nous gagnons la route. Vers 10h00, nous arrivons dans Ludes au milieu d’une foule de réfugiés, de troupes de toutes sortes. Nous nous installons dans une grande maison de vin où il y a des caves si renommées. Nous nous reposons quelques heures. Je réussis à me raser. Je mange un peu de beurre que Debarre avait fait en cours de route. Popol et moi faisons quelques cartes pour la retraite. Au cours d’une alerte, nous descendons dans l’une de ces fameuses caves où sont alignées des milliers de bouteilles de champagne qui, naturellement, sont passablement passées en « revue ». Après avoir subi un bombardement d’artillerie, dans le courant de l’après-midi, je pars avec une camionnette de la C.H.R. ainsi que Popol, n’ayant plus de place dans la camionnette du régiment et ayant prêté mon vélo à un autre.

Trajet avec la C.H.R. (Compagnies Hors Régiments)

11 Juin au soir :
Nous arrivons dans un village où nous passons la nuit.

12 Juin :
Nous demandons des ordres pour rejoindre le P.C. Le lieutenant Kreumer nous dit de rester encore avec la C.H.R. jusqu’à nouvel ordre. Après avoir mangé un peu, nous repartons vers 13h00. Arrivons dans un autre village en fin d’après-midi. Passons la nuit.

13 Juin 1940 :
Au matin, Popol et moi devons rejoindre le P.C. qui est à Athis. Pendant toute la matinée, nous voyageons, tantôt avec la camionnette de la C.H.R., puis avec le ravitaillement. Arrivons à Athis à 3h00 de l’après-midi.Je monte la garde au P.C. pour remplacer Bodin fatigué, plusieurs alertes. Nous sommes bombardés sans arrêt. Le Colonel reçoit l’ordre de repli. Le soir vers minuit, nous reprenons la route à travers la nuit. Je pars en vélo. Objectif : Ecurie Le Repos.

14 Juin - Nous arrivons vers 5h00 du matin. On se repose un peu. On mange également un peu. Quelques alertes. Dans le courant de la matinée, on assiste de loin au bombardement de la route nationale à Fère Champenoise par des biplans allemands. Au début de l’après-midi, je pars avec l’adjudant Gugenesse pour rejoindre le P.C. qui part en camionnette dans les bois à 2 kms de là. Nous arrivons dans les bois et trouvons les camarades. On mange un peu. Toute l’après-midi et jusqu’à 20h00, nous restons cachés dans les bois. Le reste du régiment arrive avec quelques G.R.D. et 3 tanks. La colonne se forme et démarre à la tombée de la nuit. Les 3 tanks sont en avant. Tout à coup, alors que nous longions des bois, on crie : « Aux Armes. Immédiatement tout le monde se couche dans les fossés, fusils braqués dans la direction des bois par où l’ennemi pouvait venir . Au bout de quelques minutes, l’alerte est terminée, ceux de l’avant de la colonne avaient aperçu à l’orée des bois des ombres ! C’étaient des français camouflés et battant en retraite également !! Toute la nuit, nous roulons, traversons villages, routes, sans arrêt, mélangés à l’artillerie

15 Juin 1940 :
Pendant la nuit, les fusées allemandes nous éclairaient à notre droite et à notre gauche. Nous commencions à être encerclés. Plusieurs alertes aux bombardiers et au coucou nous arrêtent prés Pouan où nous arrivons vers 9h00 du matin. 13h00 de route sans arrêt !! Varsavel et moi trouvons un panier d’œufs et des bouteilles de Porto. On mange des œufs au Porto !! Je trouve une carte routière qui nous sera utile.
On s’installe dans un château . Pendant 1 heure, nous prenons la garde dans le parc du château contre les parachutistes.Vers midi, 1h00 environ, ordre de départ. Je prends le vélo à Verbaere qui monte en camionnette. Nous partons pour Villechetif. Toute la route nationale est pleine de réfugiés, troupes de toute arme, artillerie, pionniers, génie en débandade. Nous passons à Arcis sur Aube qui vient d’être bombardée. Plusieurs habitations flambent. Nous arrivons à un carrefour jonché de cadavres de soldats, chevaux, femmes, enfants. Nous sommes obligés de ralentir pour éviter de rouler dessus. Nous suivons la camionnette à ce moment. Nous prenons la grande route nationale qui mène à Troyes. Je rencontre Simonneau de la 7ème Compagnie, avec qui je fais route. On consulte la carte de temps à autre. Arrivés à quelques kilomètres de Troyes, la colonne est arrêtée par des parachutistes que l’on maîtrise immédiatement et que l’on tire à coups de crosse ! Ils étaient juchés sur les arbres. Alors arrivent Versavel et Rémy. Nous prenons un chantier à gauche, passons à travers champs et arrivons à Villechétif où nous trouvons le P.C. On se couche de suite. Là encore, nous sommes bombardés par l’artillerie ennemie qui nous suit, le coucou ne cesse de nous survoler. On passe la journée dans la grange. Dans le courant de l’après-midi, on amène 1 prisonnier, qui devra nous suivre ne sachant que faire de lui !! Le soir arrive, nous sommes toujours là à attendre. Vers 3h00 du matin, ordre de repli. Nous reprenons la route une fois de plus. Les allemands sont signalés à quelques kilomètres.

Objectif : Vougrey.

Bataille de Vougrey

 


le  hameau  de  Vougrey .La  ferme  du  poste de  commandement  est  en  haut  à  gauche  de  la  photographie 


16 Juin 1940 - Par les routes poussiéreuses, nous roulons sans arrêt vers le Sud, à travers bois, villages vides ou à demi. La camionnette est toujours à l’avant, de temps à autre elle est obligée d’arrêter par suite des convois de réfugiés ou d’artillerie. Nous suivons à une vingtaine de cyclistes. Popol, Marquet, Béranger sont à pieds. Popol et Guyeneur (l’adjudant interprète) encadre un prisonnier qu’ils remettront par la suite aux mains du 1er bataillon. Nous arrivons dans une petite ville appelé Courtenot où nous faisons une halte. Dans la rue le « coucou » nous survole constamment. Dans un château, nous nous ravitaillons en bon vin et champagne. Je prends une bouteille dans ma poche. Pendant cette halte, nous cherchons à trouver des bicyclettes en meilleur état que les nôtres. Conrardy en trouve une toute neuve. Nous repartons, passons la Seine et nous nous dirigeons vers Vougrey où nous arrivons vers 11h00.

 
le pont de Courtenot  permettant de traverser  la  Seine
 

Cette fois, nous espérons être au moins tranquille une journée. On s’installe dans une ferme où sont des jeunes soldats, jeunes classes 1939 ? Peut-être sont-ils en train de rembarquer une partie de leur matériel pour battre en retraite. Nous trouvons abandonnés casques neufs, caleçons, chemises, guêtres etc… et des paniers de bon vin. Je me lave un peu et me rase, puis on cherche dans la cuisine pour trouver quelque chose à manger.
Tellier et moi découvrons des œufs. Nous allumons la cuisinière, Bodin, Versavel et Dupont arrivent, on fait une omelette de 45 œufs environ !! Que l’on mange sans pain, mais arrosée de bon vin. Après le repas, on s’allonge dans la grange. Il fait une chaleur accablante. Tout est calme à part le « coucou » qui fait son petit tour de temps à autre.
Vers 17h00, l’adjudant vient me réveiller pour me faire prendre la garde à la porte de l’habitation de la ferme. Bodin vient avec moi comme cycliste. Les autres continuent à dormir. Popol est rentré vers 16h00 à pieds. Marquet et Béranger ne sont pas encore rentrés.
A peine installé de quelques minutes devant la grille, je vois le capitaine Denefle arriver et se diriger vers le colonel.


La ferme de Vougrey ,  qui  acceuille le poste de commandement le  16  juin  .
Nous sommes à  l'endroit  ou Emile  entend  la conversation du Capitaine DENEFLE
 

A ce moment dans la cour devant moi, j’entends le capitaine expliquer en hâte au colonel qu’une auto mitrailleuse allemande est signalée sur la route. Elle vient de tuer le lieutenant Guillouët, commandant de la 3ème Compagnie .Aussitôt, le colonel crie alerte et fait poser le canon de 25mm anti-chars à l’endroit indiqué sur le plan. Je rentre à l’intérieur du jardin, vais mettre au courant Bodin qui vient se poster avec moi derrière le petit mur de la grille .Le jardin était entouré d’un petit mur surmonté d’une grille.

 

L'endroit  ou  est  positionné  le  canon  de 25 mm juste devant la maison sur  la photographie de gauche 
C'est  derriere le  petit  muret  ,  à  gauche  de  cette maison    que  se  place  au  début  du  combat  Emile  DUCOIN .
La  grille  le  surplombant  porte encore les  stygmates  des  combats

 

Nous braquons nos mousquetons appuyés sur le mur, vers la route, nous attendons « froidement » l’arrivée de l’ennemi qui d’ailleurs ne se fait pas attendre. En effet, au bout de quelques minutes, nous voyons arriver devant nous à l’extrémité du sentier menant à la route, une automitrailleuse allemande, qui ralentissant, stoppe juste en face de nous. Au même instant le canon de 25 mm tire 2 ou 3 obus qui font mouche à chaque coup et détruit l’engin. Le mitrailleur allemand nous ayant aperçu, nous envoie une rafale. Je continue à tirer sur la tourelle, puis je m’aperçois que Bodin n’est plus là. Je rampe et rentre dans le couloir de l’habitation où je trouve Bodin le bras en sang qui m’explique en me faisant voir l’extrémité de son fusil, qu’au moment de la rafale du mitrailleur allemand, il avait reçu une balle dans le trou du canon de son fusil ! Coïncidence vraiment heureuse pour lui, car sans cela, la balle aurait été se loger dans sa tête, mais de ce fait la balle a dévié dans son épaule. Je retourne seul au petit mur, et continue à tirer vers l’autre mitrailleuse, principalement sur la tourelle où j’espère toujours voir apparaître le mitrailleur. Au bout de quelque temps, toujours l’œil sur la tourelle, je vois soudain une masse humaine qui se dégage vivement du haut de la tourelle .Aussitôt, je devine l’idée du mitrailleur qui immobilisé dans son engin veut en sortir. Aussitôt braquant posément mon mousqueton sur lui, je fais feu, et aperçois le corps à moitié dégagé de la tourelle s’abattre sur le bord en tôle. Je tire une deuxième, puis une troisième fois pour être sûr de l’avoir bien atteint. Le corps fait un sursaut à chaque balle ! Il est bien mort !


photo  prise  à  l'endroit  ou  se trouve   Emile  DUCOIN   en  direction  du  carrefour  ou  se  présente  l'automitrailleuse  .
Le carrefour   se trouve  au  fond  devant  la  ferme 
 

Pendant ce temps, de toutes parts dans la ferme les coups claquent, balles traceuses des mitraillettes se croisent. Les allemands encerclent la ferme, Demarbaix est blessé au bras gauche. Sur la route nous voyons les infirmiers qui se rendent et se dirigent vers la route où nous supposons qu’il y a un sidecar avec mitrailleuse car un camarade à mes côtés aperçoit le casque avec lunettes d’un allemand dont la tête dépasse un peu d’un monticule de terre. Il vise, tire : le casque vole en éclat, le coup a bien porté en pleine tête.
Au début de l’attaque, les allemands incendient à coups de grenades incendiaires une grange sur la gauche attenant à une maison d’habitation dans laquelle le colonel et les officiers s’étaient réfugiés.
Je quitte ma position après avoir descendu mon « boche ». Je reviens au puits, ensuite le lieutenant Schilling demande 2 volontaires pour aller devant une grange à droite. J’y vais avec Décembre : nous avons 20 à 25 mètres à faire à découvert, nous filons. Une rafale nous suit. Je me couche au pied d’un gros arbre, les balles arrivent dans l’arbre, le tronc reçoit plusieurs rafales, ma situation est bien dangereuse. Je me replie entre deux rafales, derrière un tas de bois. Quelques minutes après, je reviens au puits. Les balles sifflent toujours et déchirent l’air. Voulant surveiller le carrefour où est situé l’automitrailleuse (car les allemands passaient sur la route), je me poste sur le seuil de la porte et tire en direction de la route.
Tout à coup, je reçois en pleine figure un jet de poussière, cailloux qui me déchirent la joue, instinctivement, je recule dans le couloir et aperçois sur le sol une balle traceuse qui tourne sur elle-même. Le lieutenant Schilling me regarde et me dit : « Vous l’avez échappé belle ! ». En effet, étant debout dans l’encadrement de la porte, un allemand m’ayant aperçu, m’a tiré et par bonheur m’a « loupé ».
Les balles arrivent encore dans la porte, nous sommes repérés, nous ne pouvons pas sortir de la maison. Le capitaine Blachas décide de se sauver par le soupirail de cave de l’autre côté.
Un par un, nous passons au soupirail de la cave, non sans angoisse car la nuit tombe et devant nous il n’y a que des buissons !!


L'arriere  de  la  maison  .C'est par  la  que le  Capitaine  BLACHAS  ainsi  que  les  occupants  de celle  ci  sorte  par  le  soupirail .
Emile   va se diriger  vers  les  batiments  à  droite 


Nous passons quand même. Je courre me poster derrière un tas de bois avec Gauser, puis je me poste derrière un autre, je vais ensuite dire « bonjour » à Popol qui est couché près de l’étang.
 


C'est  par  cette  grange  ,  aujourdhuii  en  ruine  que  passe  Emile  pour  se   replier vers les  tas de bois  et  rejoindre Popol



La nuit tombe, la bataille se calme. Pendant toute cette bagarre, le colonel toujours réfugié dans l’habitation qui commence à flamber aussi (la grange ayant communiqué le feu) veut sortir de la maison pour venir vers nous. Les autres officiers lui conseillent d’attendre car dehors les balles sifflent de toutes parts. Muet aux conseils de ses officiers, le colonel répond : je vais donner l’exemple. Suivez-moi. Sur ces paroles, il va à la porte et s’élance dehors dans notre direction. A peine a-t-il fait quelques mètres qu’une rafale le couche, blessé il veut se relever, une deuxième rafale le fini.
Dans la soirée, quelques soldats ont écarté son corps du mur pour éviter qu’il ne soit écrasé par la chute des pans de mur, ou brûlé.

Vers 21h30, 22h00, la bataille ralentit, probablement que les allemands (qui n’étaient pas très nombreux) ayant constaté une assez forte résistance se sont éloignés du lieu. Le lieutenant Schilling vient nous dire que l’on va essayer de s’échapper à la faveur de la nuit. Je vais chercher ma musette encore attachée à ma bicyclette et j’attends dans la cour, posté au tas de bûches. La nuit tombée, on se rassemble et on quitte la ferme par derrière à travers les champs. Avant le départ, Tellier avait mis le feu à sa camionnette ainsi qu’à l’auto du colonel. La grange commençait à flamber quand nous avons quitté les lieux.
 


Une  partie  du  batiment   ou se trouvait  la  voiture  du  Colonel  et  la  camionette  du  poste  de commandement .
La grange incendié   était  dans  le  prolongement  de  celle  ci  .C'est  de  là  que  partent  les  4  groupes  des  survivants  des  combats



Dans le village une autre maison flambait également. De loin, nous regardions ce triste spectacle de la guerre. Le ciel était rouge, on entendait une fusillade provoquée par l’explosion des munitions, cartouches, obus de 25 etc… Nous nous enfoncions dans la nuit, essayant d’échapper à nos ennemis.
 

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Plan  réalisé  par  Emile DUCOIN   montrant  le hameau  de Vougrey  ou  le  poste  de  commandement  s'est  retranché  .On y voit  également  ses  déplacements


Prisonnier !

Nous étions à environ 50 hommes, en tête le commandant Bertrand avec le capitaine Blachas, toute la nuit nous marchions en se dirigeant à l’aide des étoiles vers le sud. Exténués, mourant de faim et de soif, nous traversons champs de blé, routes, bois, nous faisons des pauses toutes les ½ heures, nous écoutons au loin si l’ennemi n’approche pas. Toute la nuit se passe ainsi, deux blessés sont avec nous, Demarbaix et un autre de la CRE, je crois, blessé également à l’épaule et au cou. Vers 5h00 du matin, le jour se lève, nous redoublons de prudence, un brouillard épais nous aide heureusement à nous dissimuler.
Tout à coup une fusillade au loin se fait entendre à notre gauche, nous prêtons l’oreille, arrêtons quelques minutes. Nous sommes à ce moment dans un champ de blé. Impossible de voir clair à quelques pas. Le commandant donne ordre de se coucher dans le champ, ne pas bouger et silence ! Nous entendons nettement à quelques 500 mètres à gauche des commandements français : en avant ! Allez-y les gars ! La mitrailleuse claque, le mortier aussi, nous entendons des cris, des voix de tous côtés, les balles perdues arrivent jusqu’à nous. La fusillade s’éloigne, probablement encore une poignée de soldats qui résistent aux S.S. Nous entendons sans cesse, des colonnes d’autos, camions, motos passer sur une route que l’on ne voit pas en face de nous. Probablement du renfort allemand pour anéantir la résistance de nos camarades.
Enfin, vers 6h00, alors que la fusillade a presque cessée, nous entendons à notre droite des bruits de voix, d’abord imperceptibles, puis bien nets : des allemands ! Le commandant Bertrand fait passer l’ordre : « ne pas tirer ». Au bout de quelques secondes, je lève la tête un peu au dessus des blés, j’aperçois alors 4 masses sombres qui avancent vers nous, fusils braqués en avant. Puis un commandement bref : « Komme ! » C’en est fait !! Je laisse mon fusil sur le terrain et me lève les bras en l’air, les autres se sont levés également.
Nous jetons nos cartouchiers sur le sol. Je laisse mon bidon et nous voilà arrivés sur la route où nous nous dirigeons vers le prochain village Maison les Chaource. Là, on nous dirige vers une carrière de sable, on nous fait prendre cartes routieres d’état major, etc… On boit une goutte de gniole trouvée dans une bonbonne. Je fume une pipe là-dessus et me voilà rallongé ivre ! Quand on crie : « debout », je me lève péniblement me tenant à Varsaba. Arrivé sur la route, on me fait monter sur un camion, Popol me suit. Les autres partent à pieds. Le camion nous emmène dans une sorte d’infirmerie où les blessés français sont soignés. Là des réfugiés nous donnent quelques pommes de terre, café, soupe au chou qui nous remontent un peu.
Voyant partout des blessés, Popol et moi demandons où sont les autres prisonniers non blessés. Une sentinelle nous répond d’attendre un prochain convoi. On attend quelques minutes, puis soudain, nous voyons arriver quelques soldats allemands chantant, dansant, en criant : »Frankreich Kapituliert » (la France a capitulé). Toute de suite, nous comprenons. La France a demandé l’armistice.
Un instant après, nous nous joignons à une colonne de quelques centaines de soldats français prisonniers.
On arrive au village même de Chaource.

Nous sommes parqués dans une prairie où déjà plus de 5.000 prisonniers sont déjà la. Nous retrouvons Bodin, Tellier, Lebaron, Le Berre, Vanhoutte, etc…Toute la journée passe ainsi dans l’attente. Nous avons faim, et plus rien à manger. Le soir arrive, on se couche dans la prairie. Le temps se couvre et la pluie commence à tomber . Nous sommes trempés.
Je n’ai pas dormi de la nuit. »
 


En 1951 , Emile   revient  à  l'endroit  même  ou il  fait  feu  11 ans plus  tôt sur  l'automitrailleuse



Le  fils  d'Emile  DUCOIN    en  pélerinage  à Auménancourt  ,  en juillet 2015

 

Merci à la famille d'Emile DUCOIN , et particuliérement  à  son  fils ,  pour leurs préts de documents ainsi que pour nous avoir autoriser à réaliser cette page