La vie du poste de commandement régimentaire
Soldat Emile DUCOIN- Dessinateur affecté au PCRI -

Emile Ducoin est né le 20 janvier 1913  .Il effectue son service en 1933 . Après une jeunesse heureuse, il se marie avec Andrée le 14 novembre 1936. De ce mariage naîtra 5 enfants.

 


Il est rappelé en 1938 comme  beaucoup  de  jeunes  de  sa  génération  puis sera mobilisé le 26 aout 1939 en prévision  d'une  mobilisation  génèrale qui  arrivera  quelques  jours  plus  tard 

 


 

Il  va rédigé tout au long de la campagne de France un journal au jour le jour dont voici un  large  extrait


« Samedi 26 août 1939 à 15h30 :
J’apprends à mon bureau que le n°6 est rappelé. Préparation du départ pour le lendemain

Dimanche 27.8 :
Je prends le train en gare de Douai avec quelques camarades Georges Legay, Victor Croze etc.…
J’arrive à Lérouville à 3h du matin

Lundi 28.8 :
Nous attendons devant la gare jusque 6h sans avoir pu savoir où se diriger, n’ayant vu aucun militaire ou autre pouvant nous guider. A 6h un wagon est mis à notre disposition, on nous emmène à Sampigny où l’on arrive vers 8h. On se dirige vers la mairie où a lieu l’incorporation dans les compagnies du 151ème RI ; On traîne de ci de là jusque 11h.Je rencontre quelques camarades d’active et de septembre 1938, Lopadzick en particulier. L’après-midi, on passe au magasin d’habillement et l’on s’installe dans une grange.
Le reste de la journée se passe en cafard.

Jeudi 31.8 :
La situation devient de plus en plus grave. On parle de mobilisation générale. J’écris quelques lettres à Maman et Andrée.

Vendredi 1er Septembre :
Le matin, on nous distribue chaînettes d’identité et pansements. A midi à la radio, on apprend que la mobilisation générale est imminente. Dans l’après-midi on apprend la mobilisation générale qui nous laisse un peu indifférent, car à la soupe du soir on chante à plusieurs copains. Félicitations du lieutenant Larriel, des pionniers, pour notre moral. On apprend notre départ pour embarquer à Lérouville. Départ à 2h30. Arrivée à Lérouville embarquement pour Courcelles-Chaussy où on arrive à 2h du matin après avoir croisé un convoi de réfugiés.

Samedi 2.9 :
On marche toute la nuit jusqu'à Servigny lès Raville. Arrivée à 4h du matin. On cherche une grange. Je me couche dans la paille et dors un peu jusqu'à 6h30. Pas de jus. J’arrive à obtenir un bol de lait chez une bonne femme. Je mange un peu. Au courrier, je n’ai pas encore de nouvelles de personne. On passe au bureau où j’apprends que je suis affecté au PCRI comme dessinateur. Le soir je me couche dans la même grange après avoir été boire un coup au bistrot avec Lopadzick et Briquet.

Dimanche 3.9 :
Je fais connaissance des 2 dessinateurs de l’active Renault et Demarbaix. Je travaille un peu sur des calques. On nous met en garde contre les bombardements aériens, il faut avoir constamment son masque. Après-midi : distribution des munitions (30 cartouches) et des armes (mousquetons). On parle de partir en ligne le soir. En effet le soir à 8h on donne l’ordre de se préparer. Départ en camion pour le PC seulement. Direction le Moulin d’Ambach à 5 ou 6 km de la frontière. On traverse la nuit la ligne Maginot, on double les bataillons du 151ème qui montent en ligne. Leurs démarches et leurs silences prouvent une certaine anxiété, qui nous prend car on commence à s’apercevoir qu’on «y va ».
Arrivée au moulin à 3h du matin.

 

 

le  moulin  dans  les  années 30 et  actuellement

Lundi 4.9 :
Le reste de la nuit on nettoie le chalet où l’on est arrivé, on installe les bureaux. A 6 ½ h je vais me coucher dans une grange jusque 9h. Toute la journée, corvée de nettoyage.

Mardi 5.9 :
J’écris. Au courrier pas encore de nouvelles de personne. On subit une première alerte aux avions. Le soir on entend des mines qui sautent en direction de la frontière et quelques fusillades lointaines.
On apprend qu’une patrouille de la Xème compagnie va entrer en Allemagne cette nuit. Quelques soldats se sont fait punir pour pillage des habitations évacuées.
 


Mercredi 6.9 :
On entend toujours des mines qui sautent. On distribue des cigarettes. L’après-midi j’accompagne le sergent de liaison Carrasso à Varsberg pour mission. On joue à la belote mais nous sommes interrompus 3 fois par des alertes. On voit des Curtiss, des avions anglais. En prévision d’un coup dur la nuit, on couche tout habillés.

Jeudi 7.9 :
J’ai bien dormi. Rien d’anormal la nuit. Je fais les feuillées. J’écris. Toujours pas de nouvelles.

Vendredi 8.9 :
1er mort de la guerre chez nous. On ramène un prisonnier allemand blessé à la cuisse. On se prépare à partir pour Dalem. Départ à 3h de l’après-midi. Arrivée à Dalem à 5h. On s’installe dans une maison évacuée. On couche dans une grange. Pas trop mal installé. Le PC s’installe au presbytère. Couché à 8h.

Samedi 9.9 :
A 4h du matin, réveillé par le groupe cycliste qui arrive. Le matin quelques alertes. On attrape quelques poules, on trouve des œufs, on prépare un souper « pépère » pour le soir. Bien mangé. Le soir couché à 9h.

Dimanche 10.9 :
Levé à 6h et demi. Je change de linges et fais la lessive. Je vais voir Pinel. Fait une belote. L’après-midi, on va faire un tour aux vêpres. Pas encore de nouvelles. Bien mangé le soir. Dans la nuit nous sommes survolés par un avion ennemi. On entend des tirs de DCA.

Lundi 11.9 :
Levé à 6h et demi. On trouve des pots de confiture et de miel. Préparation du dîner : choux rouge et sardines. On fait du café. Pour le souper on tue trois poulets. Je commence à me décourager, restant le seul au PC n’ayant pas reçu de lettre depuis le début de la guerre.

Mardi 12.9 :
Je pars à Téterchen avec Dupont. L’après-midi, je reçois les premières lettres. Le soir je suis de garde au bureau, où l’on a une bonne partie de plaisir avec des pots de Mirabelle que l’on camouflait sous les chaises. Aperçu des fusées et entendu tir artillerie.

Vendredi 15.9 :
Levé à 7h. On apprend la mort d’un lieutenant et d’un soldat au cours d’une embuscade des Boches à l’aube qui, par infiltration ont pu prendre un groupe par derrière.

Samedi 16.9 :
Toute la nuit, entendu fusillade très intenses. Quelques travaux au bureau. Le soir je vais manger chez Pinel. Je chante quelques chansons.

Dimanche 17.9 :
Levé à 7h30.Je suis chargé du chauffage central. Travaux au bureau, je fais des calques de la région. Je vais à la Compagnie de Commandement pour mon certificat de présence au corps. Le soir, je vais souper avec Pinel.

 


Le soldat  Marcel PINEL  à Blénod les  Pont  à  Mousson pendant la période de repos
 

Lundi 18.9 :
Ce matin, à 5h15, entendu fusillades et canons. Levé à 7h.Travaux au bureau.

Mardi 19.9 :
Levé à 6h00. Fusillade. Préparation au départ pour Creutzwald. J’écris en vitesse. Départ à 5h00 en camionnette. Arrivée à Creutzwald à 6h00. On s’installe dans une belle maison. Je trouve une chambre pour Renault, Bodin et Marquet.

Mercredi 20.9 :
Je repars à Dalem avec Couillard pour rechercher une table et quelques chaises oubliées. Je rencontre Blervaque qui est au 80e RI. Après je camoufle les persiennes du bureau du colonel et je fais une virée dans la cité avec Rémy pour reconnaître les Compagnie. J’installe un matelas et couche par terre avec Marquet.

Jeudi 21.9 :
Un peu de boulot au bureau. Sembre tue un veau. Le midi on écoute la T.S.F, on lit, on fume. Vers 2h je prends un bon bain dans la salle de bain de la maison. Je reçois mon premier colis. Le soir je reste dans ma « chambre », un peu de cafard.

Vendredi 22.9 :
Travaux aux bureaux. On examine le casque d’un allemand qui a été tué. Je le lave pour découvrir des renseignements. Je m’occupe du chauffage central.

Samedi 23.9 :
Je suis de garde au bureau.

Dimanche 24.9 :
Travaux au bureau et corvées. Nous avons la venue de l’Evêque de Metz pour une cérémonie à Creutzwald. A 3h00 l’artillerie tout proche commence un tir continu sur le Bérus , l’Observatoire allemand.

Lundi 25.9 :
Au bureau toute la journée. On assiste à la destruction du Bérus. Violent tir d’artillerie le soir à 9h00.

Mardi 26.9 :
Garde au bureau. J’ai reçu 5 lettres. Le soir, couché à 10h00 avec Wignaucourt. Réveillé à 11h00 par le Lt. Thiriet.

Mercredi 27.9 :
Corvées au bureau. Je vais chercher du charbon à la mine avec Couillard et Lecomte. Tirs d’artillerie. Ecris à Daniel, René et Mr. Leclerq.

Dimanche 1. 10
Quelques tirs d’artillerie. Toute la journée au bureau. Quelques obus ennemis sont tombés sur le P.C. de campagne que nous avions installé à Dalem ,3 artilleurs sont tués.

Lundi 2.10 :
Tirs d’artillerie dans les environs. Visite à 12h30 des journalistes américains. L’après-midi, on ramène 1 mitraillette allemande. On apprend que nous avons eu des victimes chez nous : le sergent Collin a les 2 mains arrachées par des grenades, un lieutenant est tué par une mine, un chef du 2éme bataillon se couche sur 3 mines, saute et retombe sur d’autres mines. Le corps est décapité. On ramène 2 allemands qui étaient ouvriers à la mine de la Houppe. Quelques travaux au bureau.

Mardi 3.10 :
Je suis de garde. A midi, mission à Ham sous Varsberg. J’apprends que le P.C. se partage en deux : P.C. lourd et P.C. léger. Le P.C. léger doit partir vers Rémilly, ou Pontoy au sud-est de Metz. Je fais partie du P.C. lourd. Je reste donc à Creutzwald. Je travaille au bureau avec Renault jusque 11h00 du soir.

Mercredi 4.10 :
Toute la journée au bureau. Je fais la lessive. On parle que notre division partirait dans le nord après le repos.

Jeudi 5.10 :
Je vais voir Pinel. Je bois une canette qu’il a eue au ravitaillement. Le P.C. léger part pour Pontoy.

Lundi 9.10 :
Assiste à un tir contre un avion allemand venu en reconnaissance 2 fois au-dessus de nous. Notre D.C.A. n’arrive pas à l’abattre. Le soir, je joue au nain jaune avec Lebaron, Lebberre, Gausser et Sesquot. Couché à 9h30.

Mardi 10.10 :
Dans la nuit vers 11h00, nous avons été réveillés par la chaudière du chauffage centrale qui était à 110°, prête à sauter. A 1h00, tir d’artillerie. Bodin est parti 2 fois en patrouille du côté de la ferme Marhof.
Un allemand tué est ramené, on le déshabille au P.C. et on le mène à la chapelle.

Vendredi 13.10 :
Quelques corvées pour le départ prévu pour lundi 16. Contre ordre dans l’après-midi, on part demain samedi.

Samedi 14.10 :
Préparation de départ. Départ à 2h00 pour la ferme Poncillon près de Pontoy, à 50 km de Creutzwald. Arrivée à 4h30. Préparation d’une grange. A 7h30, arrivée des copains cyclistes.



Dimanche 15.10 :
J’assiste à l’office.
 


office  religieux  de Poncillon  le  15 octobre .Emile DUCOIN   est  de  dos  à gauche  au  premier plan


Lundi 16.10 :
Le soir on va à Sorbey à une dizaine. Je chante au bistrot. Une bagarre se déclenche avec un des radios et Versapel.


Jeudi 19.10 :
Je passe la visite pour piqûre. Je dois être piqué demain.

Samedi 21.10 :
Je reste couché toute la journée avec un peu de fièvre et je mange un peu. Je reçois une lettre de M. Chivrac.

Dimanche 22.10 :
Après-midi quartier libre. On fait un tour à Sorbey. A Pontoy a lieu une messe pour les morts du 151é R.I.

Lundi 23.10 :
On pique les autres copains. J’envoie un colis avec une poupée.

Mercredi 25.10 :
Visite dans la matinée des cinéastes pour les actualités.

Jeudi 26.10 :
Quelques mouvements des bataillons qui quittent Pontoy et vont occuper d’autres villages.

Vendredi 27.10 :
On commence à parler des permissions à partir du 15. Le soir on va à Sorbey. Nous touchons du thé au rhum.

Dimanche 29.10 :
Je vais à la messe à Sorbey avec Marquet, Couillard, Demarbaix.

Lundi 30.10 :
On fait une photo à la camionnette de Couillard.
 


Le  fameuse  camionette

Mardi 31.10 :
On a touché 90 cartouches. Le lieutenant-colonel Cottenet, l’adjoint du Colonel, nous quitte pour aller commander un autre régiment.

Mercredi 1. 11
Départ du colonel Cottenet . Je vais à la messe… après-midi aux Vêpres.

Samedi 4.11 :
Boulot au bureau. Le soir rigolade à la grange. Concert. R.A.S.

Dimanche 5.11 :
Je reçois un mandat de 100 Frs. Sortie à Sorbey. R.A.S.

Lundi 6.11 :
Les 3 dessinateurs se font photographier. L’après-midi, combats d’avions anglais et avions français contre avions boches. 2 avions français tombent en flammes, 1 bombardier français est obligé d’atterrir.

 


Dans une ferme  de Poncillon ...

Jeudi 9.11 :
Bruit de départ.

Vendredi 10.11
Confirmation départ et préparation. Je pars dans un gros camion du train des équipages directement à Aboncourt après avoir touché des vivres pour 3 jours avec Marquet, Bernard, Tarasson, Décembre et Versaba. On joue aux cartes dans le camion. Les autres doivent faire le trajet en 2 étapes. Arrêt à Courcelles-Chaussy. Arrivée à minuit, nous couchons dans une grange.

Samedi 11.11 :
On relève le 204 R.I. Où en sont les permissions ??

Dimanche 12.11 :
Ordre de rejoindre Ebersviller. Départ à pied à 10h00. Marquet, Tarasson, Versaba et moi. Beau temps. Arrivée à Ebersviller en même temps que les camionnettes. Installation du P.C. on nettoie la maison

 


lors du  stationnement à Ebersviller...

Lundi 13.11 :
Corvées de nettoyage. Je fait des feuillées avec Lebaron. Travaux aux tranchées pour évacuer l’eau. Fait un tour « en ville », bu une bouteille de mousseux avec Bodin et Renault.

Mercredi 15.11
Travail au bureau on reparle des permissions à partir du 20.Fais un tour en ville avec Couillard. Bodin et Thellier viennent nous rejoindre au café à côté de la gare.

Jeudi 16.11 :
Corvée au bureau du colonel. Travaille au bureau. Installation du réfectoire. Mauvais temps.

Samedi 18.11
Un peu aux tranchées avec Lebaron, Lemaitre, Versavel, Verbaere, Bodin.
Après-midi, tir de D.C.A. sur un avion allemand.

Dimanche 19.11 :
Je vais à la messe. Après-midi, Concert à la gare.

Mercredi 22.11 :
Tranchées l’après-midi. Le soir, je vais manger avec Pinel au bistrot. On boit 3 bouteilles de mousseux. En revenant, j’achète du beurre.

Jeudi 23.11 :
Départ en permission de Wignaucourt. Je pense partir vers le 8 décembre.

Samedi 25.11 :
A 11h00, j’apprends avec surprise que je pars en permission le soir avec Bodin et Varbaere. Préparation l’après-midi. Départ en camionnette le soir à 8h00. Arrivée à Aboncourt. Départ d’Aboncourt à 10h00 pour Vigy en camionnette. Arrivée à 11h00. Attendu le train jusque 2h22 du matin.

Dimanche 26.11 :
Arrivée à Vitry le François à 8h00 du matin. Attendu 7h00 dans un baraquement. A 2h45 départ pour le Nord. Je changé de train à Tergnier-Valenciennes. Correspondance pour Douai à 10h45 du soir. Arrivée à Douai à 11h15. J’attends minuit pour faire timbrer ma permission du 27.11. Départ pour Lambres à 12h15.

Vendredi 8 .12 :
Départ de Lambres à 10h00 pour le train de 11h21 à Douai. Direction Reims. Andrée et Alfred viennent me conduire. Je rencontre Blondel de la CDT. Arrivée à Fismes à 19h00. Le train pour Revigny-sur-Ornain est à 10h07 le lendemain. Nous sommes dirigés vers centre d’hébergement, une usine.

Samedi 9.12 :
Levé à 6h30. On reprend le train pour Vigny. Arrivée vers midi. Pour Vigy départ 19h25. On fait une promenade en ville. On mange au restaurant. Je rencontre Boy qui est au 13éme tirailleur et le sergent Bordighera de la musique du temps de mon active. Arrivée à Vigy vers minuit. J’arrive à 1h00 du matin à Boncourt. Partis à pied à Ebersvillers avec Blondel. Arrivée 2h15. Je retrouve la grange.

Dimanche 10.12 :
Je vais rechercher le barda.

Du lundi 11 au Vendredi 15 :
R.A.S.

Dimanche 17.12
Travail au bureau. Après-midi fête à Frange

Mercredi 20.12 :
Tir d’artillerie lointain toute la nuit et au matin.

Vendredi 22.12 :
Combats aériens. 2 avions anglais surpris par plusieurs Messerschmitt volant à 8000 m sont abattus aux environs d’Aboncourt (1 tombé en flamme, l’autre tombe en feuille morte). Bodin et Thellier revenant de vendre des journaux les ont vu de près. 1 pilote avait été tué d’une balle à la tête.

Dimanche 24.12 :
Travail aux bureaux. On prépare le réveillon. Farine, œufs, pernod. Le soir à 11h30 retraite aux flambeaux avec l’aumônier et Messe de minuit. Couillard chante pour la 1ère fois. Suivi d’une façon lamentable par Thellier. Couché à 3h00 du matin. Bien bu !

Lundi 25.12 :
Levé 9h00. Mal au crâne. Verbaere malade. Belzanne mal au cœur. Bodin critique le chant de minuit chrétien. A la soupe du midi, amélioration de l’ordonnance, jambon, légume, mirabelles, champagne, cigarettes. Préparation du départ pour Blénod. Je pars avec 14 autres (Dout, Verbaere, Honorez, Remy, Lebaron, Bouclé, Floury, Ignace, le Chef Vanhoutte. Décembre.)


PERIODE DE REPOS

Du 25 decembre 1939 jusqu' au 31 mars 194O, nous avons été au repos à Blenod les Pont à Mousson où nous avons passé 3 mois d’hiver terribles, verglas, neige, gelée sans cesse avec un froid très rigoureux.
Nous étions 5 camarades à loger chez une polonaise très aimable, Madame Baran au Vieux Moulin, Route de Dieulouard. Il y avait Popol, Verbaere, Versavel, Honorez et moi. Bien chauffé, bien éclairé, nous avons passé 3 bons mois, au cours desquels j’ai obtenu ma deuxième permission de 10 jours, du 24 février au 9 mars.

 


Le bureau  du Colonel ,  à Blénod  les  Pont  à Mousson
 

Quelques fêtes du régiment à Pont à Mousson, quelques concerts par notre musique. J’achète à une sage-femme quelques masques à gaz pour enfants que j’envoie à Lambres pour Claudie, Alain et le petit Jules.
Presque chaque soir, nous allons Verbaere et moi passer une soirée chez les voisins, polonais également, Monsieur et Madame Dolniac, et leurs filles Marthe et Angèle. Nous avons été reçus d’une façon on ne peut plus aimable. Un dimanche sur trois, je suis libre (car il y a la garde au bureau à prendre), je passe les dimanches à aller faire un tour à Pont à Mousson, au cinéma ou à me promener et terminer par un repas au restaurant. En un mot, nous avons très bien passé notre temps de repos, et nous garderons un très bon souvenir de la population de Blénod les Pont à Mousson.
 


le 10 mars 1940 avec la famille BARAN

Vers fin Mars, nous apprenons que nous allons faire mouvement pour remonter au front du côté de Boulay. En effet, le 31 Mars, nous préparons le départ pour la première étape vers le front. En ce moment, les évènements de guerre sont toujours les mêmes : tirs d’artillerie de part et d’autre. Drôle de guerre ! disons-nous.

Retour vers le front

1er Avril 1940, un dimanche: nous partons avec quelques camarades, en camionnette, les autres partent en bicyclette. Nous partons vers Lemudes où nous campons deux nuits. Là je retrouve Sénéchal, de Sin-Le-Noble qui revient de permission et me rapporte un colis. Nous arrosons notre départ au bistrot unique du village. Le 3 Avril au matin nous démarrons pour Boulay. Je pars en bicyclette (12 à 15 km).

Au camp de Boulay (du 3 avril au 24 Avril 1940).

3.04 :
Nous arrivons au camp de Boulay, sous la pluie. Nous nous installons dans un pavillon d’officiers ou nous couchons au grenier. Beaucoup de travail pendant cette période.

Vers le 15, ou le 16 Avril nous avons une alerte pour prendre nos positions dans les postes de combat à 3 ou 4 km de là dans les bois. Pendant plusieurs jours nous faisons équipe pour prendre la garde au poste, une équipe revient à Boulay, l’autre reste aux postes. Tous cela dure 3 jours. Rien de particulier à signaler. Deux bataillons sont en ligne au nord de Boulay. Le 1er bataillon est en repos au camp de Boulay. Au cours d’une promenade, un dimanche, je rencontre Violette Roger, un camarade de l’active. J’achète une poupée que j’envoie à ma petite Claudie.
 


Au camp  de  Boulay le 20 avril 1940


23.04 :
nous apprenons que nous devons nous déplacer vers la gauche à Bockange. Le lendemain nous prenons la route en camionnette.

Au camp de Bockange (du 25 avril au 16 mai 1940)

Nous arrivons au camp de Bockange sous la pluie. Après avoir décharger plusieurs voitures contenant chambre à coucher, salle à manger, matelas, lits, etc. … pour installer les « appartements » des officiers, tout cela pendant toute la journée et sous la pluie, à 4 hommes ( les autres arrivant seulement le soir à vélo), nous nous trouvons le soir, à coucher dans le grenier sans un grain de paille alors que ces messieurs les officiers avaient leurs chambres à coucher. Nous en faisons la remarque, mais, hélas… inutile de chercher à comprendre. Nous sommes installés dans un pavillon d’officiers. Nous avons notre bureau de la section de transmission où Féo s’installe avec nous trois. Travail assez intense. Les bataillons sont en ligne (le 2ème et le 3ème) au nord de Bouzonville. Quelques cafés dans le village, qui est occupé par un bataillon de la légion étrangère, nous permettent de se désaltérer tous les soirs. Au bout de 8 jours, nous avons une nouvelle alerte pour prendre nos positions dans les postes de combats. Nous nous installons dans les bois à 5 où 6 km de Bockange. J’y vais une journée avec Bodin, Lebaron et Varsaba. Je reviens ensuite à Bockange où le gros du PC est resté. Bodin et Varsaba reste là-bas aux postes avec le lieutenant Schilling qui se relait avec d’autres officiers. L’alerte dure 8 jours environs. Nous assistons à quelques séances de Cinéma au camp de Bockange.
Situation de guerre : toujours quelques activités locales. Néanmoins dans les journaux on lit que des mouvements de troupes allemandes auraient été observés sur les frontières belge et hollandaise. Nous ne prêtons guère attention à cela, déjà plusieurs fois signalé par les journaux. Subitement le 10 Mai matin à 5 heures nous sommes intrigués par une activité très intense de l’aviation au dessus de nous. Je me lève avec quelques camarades, et nous nous postons dans la cour. A notre grande stupéfaction nous apercevons de tout les cotés des escadrilles d’avions allemands volants à de faibles altitudes, et venant de la direction de Metz. Tout le monde se regardait et se demande : qu’y a-t-il ?? C’est anormal. A 6h et demi environ, Féodosief rentre dans notre bureau revenant de permission de Metz, et nous annonce qu’il a assisté quelques heures avant vers 4 heures du matin à un terrible bombardement de camp d’aviation de Frescaty à Metz!!
Nouvelle stupéfaction. Nous attendons impatiemment les nouvelles de la radio à 7 heures. Dès les premières nouvelles , nous avions compris : l’Allemagne venait d’attaquer de toutes parts, la Hollande, la Belgique, le Luxembourg et un peu notre ligne Maginot.
De toute évidence notre division allait faire mouvement. A la suite d’une attaque sur notre secteur, en avant de la ligne Maginot, notre corps franc subit de lourdes pertes. Vers le 15 Mai, nous apprenons que notre division doit faire mouvement, mais nous ne savons pas pour quel secteur .On parle de Sierck, de Reims etc.…Dans la nuit du 15 au 16 Mai, nous embarquons le matériel dans la camionnette qui doit les emmener à Vautoux près de Metz. Je pars le dernier avec les cuistots du colonel.
A noter qu’à Bockange notre colonel ,le colonel Künhmuch a été remplacé par le lieutenant-colonel Daval, venant des Alpes.( au environ du 24 avril )
A 4 heures du matin nous quittons Bockange, nous sommes remplacés par une division anglaise.
Ordre a été prescrit de voyager la nuit pour éviter les bombardements sur les routes (quelques-uns ayant déjà été signalés).Nous arrivons à Vautoux près de Metz où nous séjournons jusqu’au 19 Mai.
Une partie du PC part en camionnette pour le nouveau secteur . (Nord de Reims sur l’Aisne).
Pendant le séjour à Vautoux, j’ai l’occasion d’aller jusqu’à Metz en camionnette porter du matériel de bureau, inutile.
Le 19 Mai nous quittons Vautoux pour Courcelles sur Nied pour nous embarquer en chemin de fer vers le nouveau front. Nous comprenons ce mouvement : Venir sur l’Aisne pour arrêter l’avance allemande.
La majeure partie de notre division se déplace en autobus, réquisitionnés de toute urgence à Paris ; une escadrille de Morane ou Curtiss nous survole constamment. Nous embarquons donc à Courcelles s/Nied, le convoi est protégé par deux mitrailleuses du 20 mm en DCA sur plate-forme. Nous voyageons la nuit du 19 au 20 Mai.
Vers 10h ½ nous passons à Reims, où, à notre grande surprise, la ville a été évacuée le matin même à huit heures. Cela va donc mal à ce point pensons-nous ? Evacuer une si grande ville, c’est donc que nous craignons une fois de plus ne pas pouvoir les arrêter ? Le convoi continue sa route vers le front.

Baptême du feu:

20 Mai 1940 - Vers 11 heures du matin, nous arrivons à la gare de Loivre, petit village à 15 km environ au Nord de Reims. Là, avec beaucoup de précautions, qui nous avaient été prescrites auparavant, nous gagnons un bois à quelques centaines de mètres de la gare, à l’abri des vues aériennes, (nous entendons quelques coups de canons au loin, et apercevons l’avion d’observation allemand dans le lointain, d’où l’importance du camouflage). Le dernier employé de la gare nous informe que c’est le dernier convoi qui est autorisé à venir à Loivre.
 

  
 

 
La petite  gare de  Loivre  hier  et  aujourd'hui .C'est  sur  ces  quais  que  debarque  les  élements  du  régiment dont  fait  partie  Emile  DUCOIN



Le village est évacué, le train repart vers Reims avec le dernier employé de la gare. Dans le bois nous attendons des ordres, nous sommes avec nos bicyclettes. Nous apprenons que le PC est installé à Orainville, (à 4 km de Loivre au nord). Le soir aucun ordre n’est arrivé de rejoindre le PC. Nous nous installons pour passer la nuit dans le bois. L’adjudant du bureau vient nous rendre visite, mais n’a aucun ordre pour nous. Il va à Reims chercher du matériel avec la camionnette.
Vers le soir vers 20h, un bruit court que 4 soldats du PC ont été tués à la suite d’un bombardement sur Orainville. Nous sommes consternés. La situation est vraiment grave là-haut. Nous sommes à 5 ou 6 du PC. Marquet, Baudin, Dupont, Lebaron, Leberre, etc….Enfin nous nous endormons, exténués.


 


21 Mai 1940 - Le matin à 5 ou 6 heures nous sommes debout, attendant à nouveau des ordres. Soudain vers 6h1/2, alors que j’étais assis dans le bois, un sifflement terrible perce au dessus de nous, puis aussitôt un éclatement formidable, puis 2, puis 3. Nous comprenons tres vite. L’artillerie allemande nous a repérés par l’intermédiaire de l’avion d’observation. Nous nous précipitons dans une sorte de grotte située à quelques mètres de là, et attendons la fin du bombardement qui d’ailleurs n’a duré qu’une demi-heure environ.
Ce premier baptême du feu nous laisse un peu atterrés. Ca va barder cette fois pensons nous. Vers 10 h, l’adjudant vient nous donner ordre de rejoindre le PC à Orainville par la route. Il nous conseille d’aller à pied et s’espacer de 100 mètres, car nous allons passer à un endroit vu de l’ennemi.
Nous demandons des nouvelles du bruit des victimes du PC. Heureusement il n’en a rien, il y a eu confusion, les victimes étaient du PC de l’artillerie (61è RAD), néanmoins nous songeons à ces pauvres camarades déjà tombés avant la bagarre. Vers 10h1/2 nous prenons la route avec mille précautions, nous apercevons l’entrée du village d’Orainville ; alors que nous étions à la hauteur d’une batterie d’artillerie, installée dans un pré, un nouveau tir ennemi nous arrête, nous nous couchons dans le fossé et apercevons au dessus d’Orainville les éclatements des fusants. Au bout de quelques minutes nous reprenons la route et arrivons à Orainville où nous nous dirigeons de suite vers le PC.
 

 

                                                                                                                                                     La  petite  route  à la sortie de Loivre  , à  gauche  ,  et la  route  arrivant  au  petit  village  d'Orainville  , à  droite .C'est  par  cet  accés  qu'Emile  et ses  camarades  du  poste de  Commandement  rejoignent  la ferme  d'Orainville 


Orainville :

21 Mai 1940 : Nous retrouvons les camarades, Popol en particulier, racontons le premier bombardement, le bruit des victimes, etc…eux nous racontent de même leur baptême du feu dans Orainville, l’alerte aux chars (fausse alerte d’ailleurs, des munitions ayant sautées avaient occasionnées une fusillade).
Nous nous installons dans la grange désignée. Nous retrouvons l’ambiance de guerre des débuts (Dalem, Creutzwald), maisons vides, poules, lapins, vaches abandonnés partout. L’après-midi nous construisons des abris tranchées en face de la grange. Dans la nuit, nous sommes bombardés,nous rejoignons les abris pendant ½ heure environ.

22 Mai - Travaux aux tranchées et aux bureaux. Nouveau bombardement dans le courant de la journée.

23 mai jusqu’au 4 Juin –
Nous vivons constamment en état d’alerte. Nous mangeons bien (œufs, poules, lait, etc…). Je vais une fois à la Messe. Dans le courant de ce séjour à Orainville, 9 soldats ont été tués sur l’Aisne, au cours d’une attaque pour repousser quelques avant postes allemands qui s’étaient aventurés au delà de l’Aisne.
Je vais voir à l’infirmerie ces 9 camarades allongés cote à cote dans la paille, terrible vision de la guerre. On les enterre au cimetière d’Orainville où je me suis rendu avec Popol pour nous recueillir sur leurs tombes. Vers le 3 Juin nous apprenons que nous devons faire mouvement sur la droite, le lendemain.
A signaler également que 2 prisonniers allemands ont été amenés au PC pour interrogatoire et dirigés vers la division. J’ai fais connaissance au PC avec l’ex-secrétaire du gouvernement Blum Léo Lagrange installé à notre PC comme officier de liaison d’artillerie (61è RAD).
Nous avons effectué à Orainville, chaque jour des tirs d’artillerie nombreux (jusqu’à 8000 en une nuit.) Je n’ai plus de nouvelles de ma famille depuis le 12 mai. Je lis sur les journaux les combats à Valenciennes, Cambrai, Arras, Doullens, Boulogne, Dunkerque, Abbeville. Je suis bien inquiet. J’entre en correspondance avec mon oncle Jules qui m’avait écrit de Rouen, et me signalant qu’il évacuait avec sa famille vers le sud. Par la suite j’ai continué la correspondance à Bordeaux où ils étaient arrivés.
J’écris à Gallerand pensant que tout le monde serait là, réponse négative. Bien inquiet ! Où sont-ils ? Un bruit court que certains réfugiés ont été dirigés vers l’Angleterre ??? Peut-être sont-ils parmi eux ? J’écris à Louis qui me répond qu’il est bien inquiet aussi, et qu’il n’a plus de nouvelles depuis le 12 mai également . Nous sommes à plusieurs du Nord dans cette situation, nous nous consolons mutuellement.

4 juin 1940:
Départ pour Auménancourt le petit (à 3 kms d’Orainville).Nous nous installons dans une ferme assez grande

Auménancourt le petit

4 juin : Toujours en état d’alerte journellement .Nous sommes survolés par le « coucou » chaque matin et soir.

Le 6 ou le 7 juin :
Dans la nuit, alerte aux parachutistes. Nous prenons position autour de la ferme, jusqu’au matin. Rien d’anormal. Nous couchions dans la cave, les sergents de liaison occupant les chambres du haut. Comme nourriture excellente, beefsteak, frites, lapin. Travail au calque toute la journée. Les bataillons sont en ligne sur les bords de l’Aisne (1è et 2è) le 3è est en repos dans le village voisin d’Auménancourt.
Le bois des Grands Usages est occupé par le 4è (je crois). Entre l’Aisne et le canal sont installés nos avant-postes aux aguets. Une partie du 1è bataillon, avait été au début de l’arrivée dans le secteur, en renfort à Rethel où l’ennemi faisait pression. Les événements de guerre était comme suite : la bataille du Nord est terminée, notre armée du nord est isolée du reste de la France. Beaucoup ont été fait prisonnier probablement. Les autres survivants ont été embarqués à Dunkerque avec le reste de l’armée anglaise sous un bombardement par l’aviation ennemi. Le nouveau front s’établit au sud d’Amiens, par Soissons, l’Aisne, Rethel et l’est. Une légère accalmie est constatée depuis 8 ou 10 jours. De toute évidence l’ennemi prépare une deuxième offensive sur le 2ème front de résistance. Le général Weygand revient de Syrie pour organiser la résistance et «colmater» avec les engins blindés qui s’avancent en éclaireurs. Un nouveau système de défense anti-chars est organisé (canon de 25 sur les routes, barrages des rues, ruines etc…). Il fallait s’attendre bientôt à « quelque chose ».
 


La grande ferme d'Auménancourt  le Petit  qui sert  de  poste de commandement  à partir du  4 juin


Histoire du « coucou »

7 juin 1940 –
Depuis le début de notre arrivée dans le secteur, nous avions fait vite connaissance de l’avion d’observation allemand, qui dès 8h du matin commençait son « ronron » au dessus de nos têtes, pour indiquer en clair, aux batteries allemandes la position de notre artillerie, ou tout autre mouvement. Régulièrement le soir de 8h à 8h et demi, le coucou nous survolait, malgré le tir de la mitrailleuse de 20mm, très précis pourtant (jamais cet avion n’a été abattu). Chose étrange, lorsque parfois une escadrille de nos chasseurs venait survoler la région, aucun avion ennemi n’apparaissait, sitôt l’escadrille disparue, les chasseurs allemands et le coucou faisaient leur apparition, et vice-versa.
Un jour nous parlions au commandant Daveau, de la possibilité d’abattre cet avion, en prévenant la division de bien vouloir mettre quelques chasseurs à notre disposition pour venir, dès l’envol du coucou, le descendre. L’accord est fait avec la division. 3 curtiss de la base de Reims sont prêts. Les avants postes doivent téléphoner dès l’apparition du coucou à leurs PC qui devra de suite prévenir la division.
Le jour « J » arrive, nous nous postons dans la ferme attendant impatiemment 8h du soir (le coucou venait régulièrement le soir entre 8h et 8h et demi. Huit heures arrive, nous écoutons anxieux le bruit du moteur du coucou, 8h15, 8h20, pas de coucou, bizarre, pensons nous, à 8h et demi toujours pas de coucou !
Nous trouvions cela étrange, néanmoins. Coïncidence bizarre ! A 8h et demi un bruit de moteur nous parvient, nous nous réjouissons mais tout à coup nous voyons arrivé du coté ennemi, non pas le coucou mais un Messerschmitt, qui à toute vitesse fait le tour du secteur. Aussi au lieu du coucou, un chasseur était venu faire la promenade ».
Aussitôt nous avons compris qu’une 5è colonne existait quelque part dans notre secteur ? Mais où ? A la division peut-être ?

8 Juin 1940 :
Je fais ma lessive. Je bois quelques citronnades à la cantine montée par Wignaucourt. Le soir rien à signaler. Je cause et blague avec l’abbé Dimey pendant quelques minutes. Au bureau on rigole avec Féo, avec qui je reparle de la fameuse parole d’Hitler qui disait qu’ils seraient à Paris le 15 juin, nous étions le 8 !! Pauvre fou ! Il croit encore au père noël ! Pauvre Hitler ! On était loin de penser aux terribles suites, et à la nuit que nous devions passer à cette date !!

Nuit du 8 au 9 juin 1940

Comme d’habitude vers 22h nous nous couchons dans la cave à 2 compartiments. Les employés de service seuls restant de garde au bureau. Nous bavardions, couchés sur la paille. Il y avait Popol, Féo, Belgaune, Tellier et moi.

Tout à coup vers 3h et demi du matin, nous sommes réveillés par le dactylo de service qui arrive en criant : vite, aux armes ! Debout, les allemands attaquent sur l’Aisne. Encore une alerte probablement, pensons-nous de suite. Féo répond : laisse nous dormir …tu fais ch… !
Bref, on écoute, on discute tout en restant couchés, mais voilà qu’au bout de 10 min, un quart d’heure environ, nous voyons arriver en hâte le colonel dans la cave où il commence à nous engueuler de ne pas s’être habillés de suite. Aussitôt tout le monde s’habille et s’arme. Au loin nous entendons le bruit d’un bombardement d’artillerie formidable. L’ennemi a bien attaqué sur l’Aisne. Alors s’organise la mise en position d’alerte de la ferme. Le colonel et l’état-major s’installent dans la cave, l’autre compartiment est réservé aux radios, téléphonistes, aux déchiffreurs et à nous cyclistes, dessinateurs, dactylos, secrétaire. Dans la cour s’organise la défense de la ferme. On perce des trous dans le mur du pourtour et installe des mitrailleuses ou FM. Vers 6 h du matin, alors que nous étions occupé à ces travaux, l’alerte aux avions est crié, je descends à la cave. A peine installés contre un piquet d’étayage (exécuté par les prisonniers) on entend un vacarme épouvantable produit par des sirènes probablement ce sont des bombardiers allemands qui bombardent le village et les positions de nos batteries. Le bombardement terminé, nous continuons les travaux à droite et à gauche, on charge des sacs de pomme de terre au-dessus du compartiment de la cave, du colonel pour amortir la bombe au cas où elle tomberait sur la maison.
 


plan  réalisé par  Emile  DUCOIN montrant  le  poste de commandement d'Auménancourt  le  Petit


Vers 7 h, nouveau bombardement. Cette fois une bombe tombe dans la cour de notre ferme avec un bruit formidable à quelques 10 mètres de l’abri de la SEM. Pas de victime, le pignon de la grange est fendu de haut en bas. Le reste de la journée se passe en alerte sur alerte. Dans l’après-midi tout le monde est dans la cave. Les cyclistes partent sans cesse mener des plis. Bodin va seul au bois des grands usages en plein bombardement. Il revient et nous conte l’affreux spectacle qu’il a vu, blessés, mourants, etc…
Le chef Depierre part au bois des grands usages pour voir les observateurs, on ne devait plus le revoir, en effet blessé au pied par éclat fusant, il est dirigé sur un poste de secours de l’artillerie du 61eme RAD. J’oubliais de signaler qu’au matin vers 7 ou 8 heures, on nous annonce la première victime : l’abbé Dimey, tué par obus alors qu’il était entrain de réparer la ligne téléphonique du secteur.
 

 
le pont   à  l'entrée  d'Auménancourt  le  Petit .C'est à  proximité de  celui  ci  que  Jean  DIMEY   trouve  la  mort .A droite  sa  sépulture  à  la  nécropole  nationale de Suippes


2 adjudants sont blessés. Dans la cave, nous commençons à être inquiets sur l’issue de la bataille. En effet, les déchiffreurs travaillent sans relâche aux messages arrivant des bataillons.

 

« Attaque ennemie sur l’Aisne »
Vers 7h00 du matin : « Ennemis signalés sur l’Aisne »
Vers 7h30 « Ennemis ont réussi à traverser l’Aisne »
Message du Commandant Pinaud du 1er Bataillon : « nous tenons toujours »
« Demande munitions 2ème bataillon »
« Ennemis arrivent au canal de l’Aisne »
« Ennemis réussi à passer le canal »
« Commençons à être encerclés 2ème bataillon »
« Tenons toujours 1er bataillon ».


Les messages se suivent sans cesse plus angoissants. Le commandant Daveau va et vient dans la cave, nous regarde, et dit tout bas : « Les gars, ça ne va pas ».
Un messager arrive : « Demandons renfort, ne pouvons plus tenir ».Dans l’après-midi de dimanche, arrive du renfort : 1 bataillon d’instruction du 80ème RI. Ils arrivent en camion dans la cour de la ferme, nous causons avec eux, ils doivent arriver à 800 mais nous n’en avons vu pas plus de 200 à 300 !! Ce sont des réformés repris en service, certains n’ont jamais tiré un coup de fusil et chose étrange, ils avaient comme armes les anciens fusils Lebel et 5 cartouches chacun. A voire une telle organisation, nous commencions à comprendre qu’il y avait quelque chose d’anormale dans le haut commandement. Nous avons su, plus tard, qu’un autre événement assez bizarre s’était produit à l’heure de l’attaque allemande. En effet la 6ème Compagnie avait reçu l’ordre d’abandonner ses positions vers 2h00 du matin et de se replier, afin que notre artillerie exécute un tir sur l’autre rive de l’Aisne, sur une usine.
La 6ème Compagnie, à peine repliée de quelques centaines de mètres , au moment précis où les positions de cette compagnie étaient abandonnées, l’attaque allemande se produit et sur ce point le passage de l’Aisne fut un jeu pour l’ennemi, étant donné que de l’autre côté notre 6ème Compagnie était repliée.

Aussitôt passé, l’ennemi prend et s’empare des positions de la Compagnie. Celle-ci dès l’attaque revient en hâte pour reprendre ses positions, hélas! Les pauvres gars sont reçus à coups de mitraillettes, mitrailleuses etc… presque toute la Compagnie a été anéantie.
Je tiens ce récit d’un rescapé que j’ai rencontré par la suite dans la retraite. A noter que le repli de la 6 ème Compagnie avait été ordonné par la Division. Dans l’après-midi, on amène dans la cave 3 prisonniers allemands blessés, puis 2 autres, qui sont dirigés vers la D.I. La journée se termine, on nous laisse bien anxieux sur la situation. Nous jugeons cette situation comme intenable. Toute la nuit du 9 au 10, se passe dans l’angoisse, les messages arrivent de temps à autre de plus en plus démoralisants. Le bois des Grands Usages est complètement rasé (récit de Roger Georges observateur).
Les munitions et ravitaillement n’ont pu parvenir à leurs destinataires par suite de l’intensité du bombardement ? Ou volontairement ?......

suite  page  2 ( cliquer sur  le  lien  )